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7 janvier 2023 6 07 /01 /janvier /2023 18:41

Elle aimerait manger le fil de sa vie pour en sentir la présence.

Elle aimerait comprendre ce qu’elle fout là. Sur ce bout de Terre qui ne l’a pas demandée.

Elle aimerait sentir sa vie battre, un peu, un tout petit peu plus.

Elle mange sa vie. Elle mange sa terre. Elle fait son bout de chemin ici-bas.

Elle aimerait tant avancer droit.

Elle l’attend. Comme on attend un enfant perdu sans sa mère.

Elle l’attend comme on aime un pot aux roses.
Elle attend son homme. Il conduit, c’est dur.

Elle respire du ciel étoilé.

Elle est là. Seule à sa table. Et elle écrit.

Il est arrivé tout à l’heure. Il a ouvert la porte d’entrée en criant : « Hello ! »

Elle s’est dit : « Chic, il est arrivé ».

Elle a répondu à son « Hello ! »

Elle voudrait lui ouvrir la porte.

Toujours, à temps.
Elle a peur que la vie les ruine.

Un couple, ça s’apprend ?

Elle se dit que l’amour c’est l’inverse du cannibalisme.

C’est laisser l’autre vivre à côté.

À ses côtés. C’est s’emmêler dans un présent partiel. C’est vivre à plusieurs. C’est aimer sans cesse.

C’est préparer à manger. Ce soir, Elsa a oublié. Elle a oublié le B-A-BA..

Préparer à manger à son chéri.
Elle s’emberlificote dans son trou à rat.
Elle tombe dans le puits.

Pendant ce temps il est resté distant. Il lui a donné des conseils. Mais il est parti et Elsa est restée. Elle est perdue. Il l’a laissée. Ça ne lui fait rien.

Elle aime ça. Qu’il fasse sa vie. Ailleurs.

Elsa ne sait pas ce qui fait couple.

Mais Noé est si gentil.

Elsa ne sait pas ce qui fait couple. Vu qu’ils n’ont pas d’enfant.

Alors, ce soir, elle ouvre la porte.
Elle écrit et les mots hurlent : « Mange le fil ! Mange le fil de ta vie ! »

Elsa aimerait que le jour arrive.

Elsa aimerait comprendre pourquoi elle vit. Et ce qu’il lui veut, lui, cet homme qu’elle a aimé. Elle ne sait plus bien quand elle l’a rencontré.

Pourquoi a-t-il mis du déo, tout à l’heure, avant de partir ?

Pourquoi s’est-il rasé ?

« Stand by your man » susurre la chanteuse.

Ce soir, Elsa ouvre son sac, et le déballe. Elle se dit que Dieu est comme dans une cellule.

« Il attend que j’ouvre ! » s’exclame-t-elle.

Déjà elle n’a plus que lui comme repère.

Noé semble ailleurs. Il semble ne plus l’aimer, déjà. Leur amour se fourvoie.

Elle ne sait plus ce que veut dire « aimer ».

Elle le laisse regarder la télé à côté.
Elle, elle a besoin d’écrire, et écrire et réécrire sa vie. Liée à la sienne.

« Il y a tant de naufrage dans vos yeux, monsieur. »

Elsa s’engouffre dans un trou noir. Elle cherche à comprendre. Elle suit le fil.

Elle ne sait pas comment faire pour ne pas se perdre. Elle étouffe.

Ce n’est pas ainsi qu’elle gardera son homme.

Elle est un mystère qui s’étiole à côté.

Elsa a besoin de Noé. Mais elle veut vivre à côté. Elle aussi, elle a droit à son petit coin de Paradis.

Et tant pis s’il ne s’appelle pas Giulia, Esmeralda ou Lucilla.

Elsa a le choix. Entre un bout d’étoile et un coeur qui bat.

Elsa ne sait pas ce qui fait couple si elle s’éloigne un peu, un tout petit peu.

Il a mis du déo. Avant d’y aller.

Il a parlé en revenant, ravi, de Guilia, Esmeralda et Lucilla.

C’est pas grave, elle se dit. Noé l’aime.

Bâtir plutôt que déconstruire.

Y Croire plutôt que tout détruire.

Être un coeur qui bat, bat, bat. Et qui ne se lasse pas de battre.

Elle a son torse qui pourrait s’ouvrir. Elle a le visage éreinté. Elle a cru à sa mort. Elle s’est sentie perdue. Elle avait perdu le fil.

Elle rêve sa peau. Ses yeux. Son sourire. Ses envolées.

« Il était beau comme un italien quand il sait qu’il aura de l’amour et du vin ».

 

L’amour, ce n’est pas quelque chose de confortable.

L’amour, c’est piquant. C’est avoir le cul entre deux chaises.

Elsa n’est sûre de rien.

Noé a tant besoin de séduire. Elsa n’est ni Guilia, ni Esmeralda, ni Lucilla. Elsa n’est qu’elle-même. Un tout petit bout de femme qui a peur de son ombre et qui écrit des pages et des pages pour suivre le fil.

Elsa est une petite Ariane en devenir.

 

Et puis, elle ferme les yeux.

Peut-être tout n’est que question de foi et d’amour.

Alors, ce soir, Elsa choisit d’y croire.

 

Comment on fait pour ressusciter ?

Elsa pense à appeler sa meilleure amie. Mais non. Pas cette fois-ci.

 

Elsa se souvient le premier resto, avec Noé.

Elle avait le trac, un trac fou.

Elle se sentait une moitié de personne.

Comment pourrait-elle l’intéresser, bon sang ?

Elle avait peur de la boue, en elle.

Elle avait peur de dire des choses insipides.

Elle avait peur d’annoncer la couleur.

Cette corde au cou, ce mal-être… cette chute dans le puits si souvent.

Elsa sait le PRIX des choses.

Elsa sait que perdre un jour c’est perdre pour toujours. Elsa sait que Noé est unique qu’il s’aiment qu’ils ont tissé des liens ténus et qu’elle a le droit, le devoir même de prendre du temps pour elle. Et pas que pour eux.

Elle veut comprendre ce qu’il s’est passé. Pourquoi son cœur bat si fort, ce soir ? Pourquoi elle étouffe un peu.

Et ce qui fait qu’elle ne peut plus respirer vraiment, respirer à fond.

 

Elle se souvient l’eau dans la piscine de son enfance et ses cercles de petite nageuse au fond de celle-ci. Le soleil qui perçait du ciel qui mettait tout ce qui manquait de lueur dans sa vie, et qu’elle mirait qui l’apaisait qu’elle voulait atteindre. Et sa tante – sa grand-tante – qui attendait près du grand chêne, sans parler, sans regard vers elle. Sans la considérer. Cette fille, Elsa, qui ne savait pas dire « non », qui ne savait pas dire « je ». Et en qui passait la beauté de celles qui ne se savent pas belles.

Cette petite fille, Elsa, timorée. Cette petite Elsa qui questionnait le monde de son regard bigleux et perçant.

Cette petite Elsa qui était comme une herbe folle, soit trop sage, soit fuyante.

Cette petite Elsa qui se connaissait si peu.

Des larmes se crochètent à ses yeux. Ce n’est pas le but.

Le but, c’est de S’OUVRIR.

Le but, c’est de COMPRENDRE.

Le but, c’est d’AIMER…

Et, peut-être, plus encore, c’est de SE LAISSER AIMER.

 

Noé la regarde avec tendresse quand elle conduit le lendemain.

Elsa veille tel un cerbère. Elle scrute l’horizon. Elsa sent quand il se fourvoie cet horizon. Elle scrute les biches, sur la route. Elle scrute les sangliers.

Elle scrute les Jolis Cœurs et les Bombasses allumeuses.

Noé ferme les yeux… Elsa passe la quatrième… Un vrai bonheur.

 

Elsa se dit qu’elle peut dormir dorénavant.

Elsa a retrouvé en elle le fil. Le fil de leur amour. Cette considération que Noé a pour elle, et qui lui a tant manqué quand elle était une petite fille.


Elle va le bécoter, tiens !

Et laisser sa grand-tante s’évanouir tout près du grand chêne.

 

Tiens, elle ne lui en veut plus là, à sa grand-tante. De ce petit mépris qui sourdait en elle. De ce recul vis à vis d’elle.

De celle qui, peut-être bien, est la vieille dame qu’elle rêverait – bizarrement – de devenir.

Une vieille dame vivante et joyeuse.

Une vieille dame qui considérerait tous les enfants de son entourage, tellement elle aurait le cœur OUVERT.

Alors, ce soir, elle se fait cette promesse à elle-même.

De laisser sa chance à chacun.

Un sourire prend son visage.

 

Un bécot ! Puis, au dodo ! Elle espère qu’elle dormira bien. Contre Noé elle se calfeutrera. Tout contre lui.

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20 décembre 2021 1 20 /12 /décembre /2021 22:49

Papa Noël

 

Il l’avait bien mérité, cet olibrius . Un peu d’amour en bouteille, un peu d’amour en boîte.

Il l’avait bien mérité, l’autre zigoto. De ce soleil en Arctique.

C’était une nuit de pleine lune. Et les rennes n’aiment pas cela, les nuits de pleine lune.

Les nuits torturées.

C’était une nuit de pleine lune, et un soleil avait ex-plo-sé dans le salon du Père Noël.

 

La soirée avait été un peu arrosée. C’était le lendemain du jour de Noël, et l’autre, là, le Père Noël, après sa longue tournée, avait enlevé ses bottes avait englouti une bouteille de skywhi entière et puis il s’était affalé sur le canapé dans sa petite maison, à côté d’un feu de cheminée qu’un lutin avait allumé pour lui. Il avait roupillé toute la journée du lendemain de Noël. C’est que cela lui mettait un tel stress, cette nuit de Noël. Tous les enfants l’attendaient impatiemment. Il ne fallait en oublier aucun, mais vraiment aucun. Une lourde responsabilité pesait sur ses épaules.

 

Puis, le 26 au soir quelqu’un avait toqué à la porte. Était-ce un lutin qui avait besoin de friandises ou de réconfort ?

Le Père Noël se leva de son canapé, ses charentaises frottèrent le sol en faisant ce doux bruit : « frr clap frr clap ».

Il était heureux déjà à l’idée de ne plus être seul.

 

En effet la Mère Noël s’était fait la malle cela faisait cent ans déjà. Le Père Noël n’avait pas bien compris pourquoi elle l’avait quitté.

« Tu ne m’écoutes jamais. Tu n’en as que pour ton travail. Je me tue à la tâche pour t’aider, et tu ne me remercies jamais. Je ne me sens pas respectée. Je pars ! »

 

Le Père Noël n’avait rien su dire. Il avait dû laisser partir celle qu’il considérait comme la femme de sa vie. Il n’avait rien dit. Mais, depuis ce jour-là, tout le monde voyait bien que le Père Noël n’était plus à la fête.

 

Elle l’avait quitté pour les beaux yeux d’un autre. Il était triste.

 

Mais, vaille que vaille, il continuait de distribuer les cadeaux aux enfants, aidé de ses lutins. Cependant les lutins ne partageaient pas vraiment ses joies et ses peines : le Père Noël était leur boss. Il ne pouvait leur montrer sa tristesse ni sa colère, cela n’aurait pas fait sérieux. Le Père Noël était très à cheval sur les principes. Mais il tonnait, le Père Noël. Il rugissait. Le 23 et le 24 au soir, depuis que la Mère Noël était partie, il disait :

« Plus vite ! Plus à droite. Non ! Pas ce jouet-là pour cette fillette, voyons je vous l’ai déjà dit, bande d’incapables ! »

Oui, parfois le Père Noël les traitait d’incapables, ses lutins. Il ruminait, il ruminait, le Père Noël.

Il était persuadé qu’elle l’avait quitté pour un autre. Un blond aux yeux bleus.

« Le blond » il l’appelait.

 

 

Il devenait nerveux. Ombrageux.

Il buvait plus que de raison.

 

Alors, quelqu’un toqua à la porte. Il ouvrit. Il y avait une enveloppe déposée sur son paillasson.

La nuit du 26.

Le soleil en Arctique.

Tout l’amour de la Terre entassé dans une enveloppe. Il l’ouvrit avec curiosité.

 

« Bonjour Pair Noël.

Maman ne va pas bien. S’il vou plè, Pair Noël, venez.

Voici nautre adresse : 123 Rue de l’éternitait, Antarctique. »

 

Le Père Noël resta coi devant cette missive.

Une famille avait besoin de lui. Une mère et son enfant vivaient apparemment une grande détresse. Il se dit : mais que puis-je leur apporter, je ne sers qu’à distribuer des cadeaux moi sur cette Terre. Il se frotta le crâne, embêté. Il décida d’aller se coucher et que la nuit porterait conseil...

Il se coucha. Se moucha. Se retourna dans son lit. Il se disait : « qu’elle se débrouille, cette maman ! Moi je ne suis que Père Noël, je ne suis ni médecin ni psychologue ! »

Il relisait la missive dans sa tête.

Soudain, il se leva au milieu de la nuit. Il pensait à l’enfant qui avait écrit la missive. Un pauvre enfant perdu qui l’appelait au secours.

 

Il se frotta les yeux.

Déboussolé je vous dis.

Il regarda de nouveau la petite carte. Elle venait de l’Antarctique. Le soleil dans sa maison, je vous dis.

Il se morfondit. Il se dit qu’il avait dû oublier un enfant la veille, qu’il avait oublié de laisser un cadeau pour cet enfant qui lui avait écrit. Et que c’était un appel de cet enfant qui s’était senti délaissé. La mère et l’enfant voulaient qu’il les aide à passer un vrai Noël.

Nom de nom, il ne pouvait laisser une mère, seule sans doute, dépérir avec son enfant. Ceci était un appel à l’aide, une bouteille jetée à la mer. Il remit ses bottes de Père Noël – le reste du temps, quand ce n’était pas Noël, il traînait avec des pantoufles de vieillard - vieillard qu’il était devenu depuis que la Mère Noël était partie et l’avait laissé.

Ni une ni deux, en plein milieu de cette nuit, de cette nuit de pleine lune, il attela ses rennes puis il se cala dans son traîneau et parcourut la moitié du globe. Il espérait ne pas arriver trop tard. Pourquoi cet enfant avait fait appel à lui le lendemain de Noël : il n’était pas un spécialiste des détresses humaines. Oh ! Ça non ! La Mère Noël lui avait souvent reproché son manque de psychologie. «  Ce qui est sûr, c’est que tu n’es pas un fin psychologue ! » lui répétait-elle.

 

Il arriva en Antarctique, le traîneau rempli à ras bord de cadeaux – car on ne sait jamais, ça peut toujours servir. Un Père Noël ça offre des cadeaux, et c’est comme ça.

En Antarctique, c’était l’été. Le soleil tapait tout son soûl. Il frappa à la porte, au 123 rue de l’éternité. Une femme ouvrit, une femme qu’il ne reconnut pas tout de suite. Aux traits creusés, aux yeux tristes et larmoyants. Cette femme, c’était celle qu’il avait toujours aimée, celle qui hantait ses nuits et ses journées creuses, vides, proches du néant depuis qu’elle était partie. La femme resta pétrifiée un temps, puis elle tomba dans ses bras en pleurant. Leurs larmes à tous deux coulèrent, coulèrent. Et le Père Noël comprit qu’il ne pouvait plus vivre sans elle. Elle, la Mère Noël. Et il réalisa qu’il l’avait beaucoup trop négligée par le passé.

 

Dans le salon où ces retrouvailles eurent lieu il finit par remarquer un enfant qui les observait, un enfant de cent ans environ, ce qui n’est pas beaucoup en terme d’âge Père et Mère Noël. Cela équivaut à peu près à l’âge de dix ans en terme d’humain classique.

Le Père Noël comprit que l’enfant était la mystérieuse messagère qui s’était déplacée jusqu’à chez et qui lui avait écrit.

 

« Voici Sollen ! » lui dit dans le creux de l’oreille sa femme. « Il y a longtemps, bien longtemps quand je t’ai quitté, je l’attendais, cette petite merveille. Je croyais que tu n’en voudrais pas. Tu t’en souviens, tu m’avais dit : des enfants, je n’en veux pas. Un Père et une Mère Noël ne peuvent avoir d’enfant ! C’est génétiquement et déontologiquement impossible. Tu m’avais dit, les enfants, c’est très bien mais chez les autres ! Je venais d’apprendre que j’étais enceinte. Cela avait été la goutte d’eau qui avait fait déborder le vase. »

 

On n’avait jamais vu ça ! Le Père Noël avait un enfant !

 

« C’est ma, ma… ? » bredouilla-t-il.

 

- Ta fille, oui.

 

« Sollen », cela résonnait comme « soleil », cela résonnait très fort dans le cœur du Père Noël, cela bouleversait tout et remettait franchement les pendules à l’heure. Un sapin trônait dans la salle à manger, mais il n’y avait pas de cadeau. Si. Il y avait une petite fille, une petite rouquine toute timide et qui n’osait pas croiser son regard.

 

L’instant sembla durer une éternité. Ces deux-là se découvraient et cela faisait un sacré chambardement dans leur tête, cela tapait la chamade, tout à l’intérieur.

 

Sa petite Sollen changea le Nord pour le Sud et le Sud pour le Nord, l’envers à l’endroit et les bougies du décor quand elle avança toute hésitante vers lui et qu’elle prononça en le regardant cette fois bien dans les yeux, ce mot qu’il croyait lui être interdit, ce mot qu’il avait au fond de lui banni, ce petit mot qui ne lui avait jamais été adressé :

 

« Papa »

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31 octobre 2021 7 31 /10 /octobre /2021 18:49

C’était une nuit extraordinaire. Il y avait eu du vent, il avait cessé, et les étoiles avaient éclaté comme de l’herbe.

Elle s’était levé. Avait pris son poncho. Avait embrassé son petit garçon sur le front tout en remontant le drap sur ses épaules.

Elle avait ouvert, puis fermé la porte de la grande maison perdue seule dans la nuit.

Puis elle avait marché, marché, encore marché. Longtemps, si longtemps. À coeur perdu. À corps ouvert.

Le vent l’empêchait d’avancer. Ce n’était pas grave. Rien n’avait plus d’écho en elle. Rien n’aurait plus d’écho en elle.

Elle se souvenait juste de son rire. Un rire frais, qui fusait.

Elle monta sur un talus.

Le train au loin passa, tel un cambrioleur dans cette lande nue.

Elle serra son poncho contre elle.

Elle vit les lumières dans les wagons qui débordaient la nuit.

Tacatac Tacatac, faisait la locomotive.

C’était comme un doux murmure régulier. Tacatac Tacatac. Comme un cliquetis de vélo. Comme des pieds tapant sur le sol à intervalles réguliers. Comme un coeur qui bat enfin.

 

De son promontoire, elle dominait la plaine. Savait son garçon en sécurité dans la grande maison loin derrière elle, perdue dans la nuit.

Elle inspira. Elle expira.

L’air qui entrait était frais. L’air qu’exhalait sa bouche était chaud.

Mit sa main sur son petit ventre.

Elle respira une deuxième fois. Entendit un cheval hennir au loin.

Se rappela ses mots. Des mots de paix. Des mots d’amour avant le départ.

Ses mots à lui.

Le vent bousculait ses cheveux. Elle y trouva mieux qu’une poésie. Un poème d’amour.

 

Elle n’avait jamais été si pleine. Si pleine d’elle. Si pleine d’amour. Si pleine de joie.

Si pleine de mots.

 

Son petit garçon qui dormait, au loin, sage comme un enfant apaisé.

Sa vie qui défilait loin, derrière ces sacs de wagons entiers qui couraient la nuit.

Ce vent qui venait tout changer, tout arranger, tout chambouler.

Et son ventre qui battait la chamade, rompu par tant de bonheurs diffus.

 

Elle revit en songe, son rire à lui, éclaboussant, ses dents si blanches, ses dents de carnassier, d’amoureux de la vie, et une joie subtile, plus subtile que tantôt la prit.

 

Soudain, le vent se leva, la gifla, sembla la gifler. Elle fut sonnée.

Reprit ses esprits.

Et elle rit alors, mais d’un rire grisé, d’un rire de folle, d’un rire tout décousu qui rappela son rire à lui. Là, tous deux dans la brise.

Soudain face à face. Un bécot assourdissant.

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26 juin 2020 5 26 /06 /juin /2020 22:24

Le cow-boy tire sur son clope, et basta. Un peu de whisky, en rasades. Mais, le cow-boy assume son grain de folie. Il assure sa place. Sa place au soleil.

Le cow-boy éteint son clope. Il va donner de la voix, à l’église.

De deux choses l’une : le cow-boy attend le printemps, pour être en éclosion. En éclosion d’amour. Et il attend la belle fille de la chorale, celle qui chante en chœur. Une fille toute en sobriété, et c’est ce qu’il aime bien, le cow-boy. Cette fille, il l’avait suivie dans la rue et hop, elle avait franchi la porte de l’église.

Des personnes s’échauffaient la voix, dans la nef. Elle les a rejoints. « Bonjour Lili », ils lui avaient dit.

Le cow-boy, il fallait pas la lui faire à l’envers. Il avait jamais aimé le catéchisme. Enfant, il avait emmerdé la catéchiste, qui était pourtant gentille, avec ses bonbons qu’elle amenait à chaque séance de caté. Mais ces bondieuseries, il en avait rien à foutre, déjà à l’époque, le cow-boy. Entendre des sornettes pareilles sur Adam et Eve, dire que c’était vrai, cette histoire à la con. Il le lui avait dit, à la catéchiste, qu’il n’était pas d’accord. Les autres l’avaient regardé béats d’admiration :

« T’as vu, ce qu’il lui a mis, à la catéchiste, le cow-boy ? »

Oui, car même enfant, avec ses jambes arquées, on l’appelait le cow-boy. Le cow-boy, il voulait fleurir. Il voulait rêver.

C’est pour ça qu’il a suivi cette fille à l’aspect presque transparent. Il avait saisi la douceur dans le sourire. Le cow-boy, il fallait pas la lui faire à l’envers. Il en avait connu des pas mûres, le cow-boy. Un jour, le cow-boy avait envoyé son ivrogne de paternel valdinguer par terre. C’est pas que ça lui avait réussi. Ce con-là l’avait foutu à la rue.

Il avait dû se bagarrer le cow-boy pour s’en sortir de cette merde.

Alors, il avait suivi la jolie fille alléchante jusqu’à l’église.

Il fallait pas la lui faire à l’envers, au cow-boy. Il était assis contre le mur attenant à l’église Saint-Louis et il se reposait. Tout le monde comprenait bien, il n’était pas mendiant. Il avait un costard d’une classe folle. Beige, jaune et mauve. Chic. Non, il faisait si chaud, ce printemps-là, que des bourgeons de fleurs se déployaient sur son corps d’homme sûr de lui, d’homme à qui on la faisait pas.

Et cette fillette, car c’était une fillette, une jeune damoiselle. Il rêva en pensant ce mot. Pour lui c’est comme ça qu’on devrait nommer toutes les belles jeunes filles.

Et cette damoiselle-là, avec son air de rien du tout, elle lui avait offert un sourire.

« Vous voulez que j’aille vous acheter un sandwich ? » elle avait demandé.

Elle l’avait pris pour un mendiant. Remarquez que c’était un sacré mendiant d’amour, le cow-boy. Il avait une besace vide de tous ces sourires et ces attentions qui vous faisaient exister. On ne peut pas inventer ce qu’on n’a pas eu.

Alors, une fois qu’il lui avait dit : « Non, je n’ai pas faim, merci. Je suis désolé, vous m’avez pris pour un mendiant », il avait osé : « Vous voulez boire un verre quelque part ? ». Elle lui avait souri et avait rétorqué :

« Non merci. Je vais chanter à la chorale de l’église Saint-Louis. »

Une catho ! Fallait pas la lui faire à l’envers, au cow-boy.

Mais là, cette fille droite, et belle. Belle dans son sourire, elle avait fait s’ouvrir des fleurs en lui. En une fraction de seconde, en un sourire, elle avait remis à l’endroit tous ses préjugés sur les cathos.

Elle avait été droite, elle le lui avait fait à l’endroit.

Alors, il l’avait suivie. À l’église, qu’elle allait. Alors, le cow-boy chanta.

Chaque mercredi, il y était retourné, à cette chorale. Des tournées, il en avait fait par centaines. Sa voix était appréciée. Un voix rauque, qui apportait beaucoup à l'ensemble. Mais elle, elle n’était jamais revenue.

Le cow-boy tout triste, avait néanmoins trouvé un sens à sa vie. Chanter, et tant mieux si c’était pour le Bon Dieu, en fait. À bien y réfléchir, il ne le lui avait jamais fait à l’envers, celui-là.

Une nuit, dans un rêve, il la revit. Il fut si heureux. Cela faisait si longtemps qu’il l’attendait. C’était le printemps, un printemps frais et guilleret.

Elle chantait, elle avait des ailes d’ange. Mais elle était bien réelle. Alors, il se mit à chanter de concert avec elle, dans son rêve. Et la voix d’ange de Lili et la voix de rocker du cow-boy se rejoignirent.

Dans son lit, au cow-boy, on retrouva le lendemain matin un magnifique rosier. Et la nuit, on l’entendait chanter, ce rosier, mais à l’intérieur, dans sa tête, et c’était beau, beau… Ça vous faisait pousser des rosiers dans le cœur. Quand je vous dis qu’il était vraiment spécial, le cow-boy.

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29 janvier 2020 3 29 /01 /janvier /2020 21:32

Je suis un peu comme un appareil-photo. Dans l'instant de la découverte, je grave les visages, les intonations, les regards dans mon coeur. De retour, il me faut les développer.

Développer les regards. Développer les instants. Un peu comme si, dans mon imaginaire tout s'inscrivait sur ma peau. Dans ma peau. Tout contre.

La veille au soir, Coralie m'avait sussurré:

- Où vas-tu chercher que j'ai besoin de plus de séduction, Thomas? avec un sourire entendu.

Je n'avais rien pu dire. Mais j'avais gravé son visage dans mon coeur. Oui. Dans mon coeur, son visage souriant.

Etais-je bête, moi aussi, de l'avoir raccompagnée sans essayer ne serait-ce que de l'embrasser. Après une tirade pareille, dite dans un sourire, on ne pouvait rester immobile, insensible. Immobile, je l'étais resté. De marbre.

Ca devait être la chaleur. Cette stupide chaleur d'hier au soir. C'était son sourire. C'était cette intensité de la rencontre qui vous soudoie et fait de vous sa proie. Oui. Je suis un peu comme un appareil photo. Pour voir bien, il me faut du temps. Un sacré temps même.

Je ne regrettais pas de ne pas l'avoir approchée. Coralie. Non.

J'étais bien, peinard, dans mon appart au-dessous des toits.

Je suis peintre. Je peins des clowns. Les clowns, c'est gai et triste à la fois. Ca cache son monde. Son monde intérieur. Souvent, je dirais ça, souvent oui, ça fait semblant de se marrer. Ca prend de la peinture, ça se peinturlure tout le visage. Ca sous-entend. Ca équivoque. Ca cache la misère.

Moi, c'est un peu ce que j'avais fait avec Coralie hier au soir. Je lui avais souri. J'avais acquiescé de la tête comme pour dire: "Oui. Non? Tu crois?" et je m'étais enfui. Oh! Doucement. Tranquillement. De mon pas le plus lent. Mais je m'étais enfui tout de même.

Je n'ai pas répondu à ses coups de téléphone. Insistants au début. Puis plus espacés. Sporadiques enfin.

Moi, je me vidais une bière. Je caressais la toile de mon dernier clown peint, un clown avec un sourire comme une demande, demande entendue-malentendue. Je gratouillais la frimousse de mon chaton. Je continuais ma routine, quoi.

Je continuais à vivre. Oui. Vivre, bon sang!

-Tu verras, me disait ma mère quand j'avais dix ans, un jour, tu verras, nous connaîtrons des jours meilleurs.

Je l'avais crue.  Ma mère qui fut atteinte d'une maladie incurable deux mois après cette déclaration.

Après je n'ai plus cru personne. Et je me suis formé une façade, une façade qui sourit, comme mes clowns. Une foutue carapace en fait.

Alors,  Coralie, là. Avec son air endiablé et séducteur, elle m'a fait un peu peur, je dois l'avouer.

Je rajoute du rouge sur le nez de mon dernier clown. Il est drôle, dans le sens qu'il ne cache pas sa tristesse. Il a un vide dans les yeux. Un vide dans le regard qui m'interroge.

Le temps passe. Et passe le temps. Je regarde ma vie défiler par l'unique fenêtre de mon appart.

C'est l'hiver déjà. C'est l'hiver et je grelotte. Je vais un peu au Café Lecture. Je rencontre des gens. Je tirade. Je façade. Mais je rentre chez moi seul.

La neige est tombée hier. J'ai cru voir Coralie courir devant moi, dans la rue. Elle se hâtait. Elle ne m'a pas reconnu.

Elle se hâtait vers un rendez-vous inconnu. Dans des bras inconnus.

Une douleur sourde me prit soudain. Ce soir-là je pleurais. Je pleurais pour la première fois depuis la mort de maman.

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14 mars 2019 4 14 /03 /mars /2019 00:37

Vie

Elle est pas belle, la vie, dans cette vie sans étoiles ? Elle est pas belle, la vie, dans cet océan de lumière ? Elle est pas belle, la vie ? Pas belle, la vie orageuse ? Fourmillante. Foisonnante. Et le vent qui pousse, pousse. Et les rires d’enfants qui éclaboussent.

Marinette fixe le ciel étoilé. Mille couleurs en une. Mille teintes. Mille soleils réunis en un seul. Elle caresse son petit ventre rebondi.

La campagne ouvre ses bras. Les ailes des montagnes découpent le ciel. Orageux. Nuageux. Scintillant. Comme l’avenir.

Georges revenait de la guerre le lendemain. Il lui avait écrit : « Ne t’inquiète pas, ma douce, ma belle, ma colombe. Ne t’inquiète pas. Les canons ont cessé de déchirer le ciel. La nuit est calme et tranquille. La vie est belle. Je reviens mon ange. Bientôt je serai de nouveau chez nous. Je t’aime. »

Marinette ne se lassait pas de lire et relire cette missive. Elle avait déposé les armes. Elle avait pleuré. Oh ! Pas beaucoup. Juste assez. Juste assez pour lui laisser de la place à nouveau dans sa vie, à son mari. À son cher et tendre.

Elle ne lui avait encore rien dit. Comment dire ça ? Et puis, cette lettre qui a donné à son ciel une pléthore d’étoiles.

Marinette huma l’air du soir. L’odeur de la lavande avait envahi l’espace. Il était onze heures du soir. Un ronronnement doux laissa une fine musique percer. Le train passa. Comme passait le train de ses souvenirs.

Hier. C’était hier déjà. Et la rose et la bague.

Hier. Une éternité. Trois ans.

Elle s’était perdue dans des rêves éperdus. Elle avait travaillé pour la première fois de sa vie et avec son premier salaire avait offert une blouse à sa mère. Pourquoi l’aurait-elle gardé pour elle seule ? Elle avait donné de la voix, à l’église. Tout ça. Tout ça. Et puis ce ciel étoilé. Cette nuit. Comme si le Bon Dieu avait voulu remplir d’espoir son sac déjà bien garni.

Tout ce temps perdu. Tout ce temps éperdu.

« Une étoile et ça veut dire qu’il m’aime… Deux étoiles pour une belle maison... Trois étoiles : je veux qu’il retrouve son travail. »

Marinette baissa la tête. Elle suivit le petit sentier qui serpentait jusqu’à leur baraque. À l’embranchement elle prit à droite.

Il était revenu il y a de cela six mois. Un court laps de temps pour se redire « je t’aime ».

Elle faillit trébucher à cause d’un ridicule caillou disposé au milieu du petit sentier sinueux. Elle échappa un léger cri. Perdu dans la nuit. Un tressautement.

Elle se raccrocha à la branche d’un pin majestueux.

Le pas hésitant, puis nonchalant. Bientôt le souffle court. Demain. Oui, demain, il saurait.

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9 mars 2019 6 09 /03 /mars /2019 18:54

J’ai un fils. Il s’appelle Lillo. Il joue souvent avec les nuages. Il se cache derrière. Il me demande ; Dis, maman, devine où je suis.

Et je le cherche, je le cherche. Debout. Assise. Sur les nuages. Dans les nuages. Sous les nuages.

Bom ! Bom ! Il aime ça, mon fils.

Son père est formidable. Je le dis comme je le pense. Son père, c’est Chet Baker et Ray Charles à lui tout seul. Son père, c’est mon homme. C’est mon seul homme. Le seul. L’unique. C’est mon homme. Et Lillo l’adore. Comme moi.

C’est mon alter ego. Mon homme. Et Lillo le sait. Il se frotte contre lui. Il lui dit : « Mon papa ! Viens voir les nuages avec moi. » Et Gervald, mon homme, lui dit : « Non, ce n’est pas mon truc, les nuages. » Et Lillo fait la triste mine. Pour un peu il se roulerait par terre de contrariété.

Et il le fait. Il se roule dans l’herbe, et il hurle, il arrache des brins d’herbe avec rage.

Lillo sait que j’aime son père et que son père m’aime.

Mais il n’est pas sûr, je crois, que son papa l’aime.

- Essaie de lui faire plaisir, je lui dis.

Alors, Lillo rentre dans sa chambre. Il fouille et il trifouille dans sa cachette aux trésors.

Il vient vers son papa avec des bonbons. Des bonbons tout sucrés. Tout bons. Et Lillo voit son père saliver. Saliver d’avance.

- C’est pour moi ? Il dit.

- Oui, et Lillo hoche la tête.

- Mais ce n’est pas l’heure, il va falloir manger, Lillo. Tu me les redonneras à un autre moment. Après le repas, tiens.

Et il sourit à Lillo en lui ébouriffant les cheveux. Et Lillo reste déçu mais il jubile en même temps de joie. À la joie de partager ses bonbons avec son père.

 

Le repas se passe bien jusqu’à ce que Lillo vomisse.

Je dis :

- Que se passe-t-il, Lillo ?

Son père s’inquiète aussi.

Mais Lillo a la fièvre. Il tremble. Il crache du sang.

Gervald ne perd pas une minute. Moi je suis paniquée à fond. Gervald embarque Lillo dans la voiture. Je m’assois à côté de lui.

- Maman, j’ai mal au ventre.

- Où ? Où ? Mon chéri ?

Et Lillo tousse. Il tousse du sang.

Mon Dieu. C’est mon monde qui s’effondre.

On arrive à l’hôpital. Les urgentistes prennent Lillo tout de suite en charge. Nous restons seuls dans la salle d’attente, son père et moi.

Gervald tremble. Je le touche. Essaye par une caresse de l’apaiser. Mais Gervald ne s’apaise pas. Il tempête. Contre les urgentistes, ces cons qui ont tardé, contre la vie, cette fatalité.

- On va me l’enlever, tu vas voir. On va me l’enlever, il dit.

- Lillo ? Je dis.

- Et pour qui crois-tu que je crie ?

- Pour Lillo, je lui dis en le regardant étonnée.

- Je n’y arriverai jamais, à être un bon papa, il dit.

- Mais tu es un bon papa, je lui dis. Un bon papa et un bon mari.

Gervald éclate en sanglots. Et il se met à trembler. À vomir et à cracher du sang.

- Mon Dieu, je crie. Au secours, au secours, je rajoute.

Une infirmière arrive et elle m’aide à transporter Gervald jusque dans la salle d’examen.

- Après le fils, le père ? Dit le médecin.

Et je n’en entends pas plus.

 

Je vais dans la salle d’attente et je regarde les nuages.

 

- Lillo, je prie, où es-tu ?

Je scrute les nuages et je n’y vois pas Lillo.

Je saute sur un nuage et je cours, je cours, et je me faufile dedans. Je m’enrobe du nuage, je respire son frais. Je revis.

Je saute de nuages en nuages et je cours après le temps et je l’apprivoise et je mange des bonbons à m’en empiffrer.

C’est ma manière de prier pour Lillo et Gervald. De m’évanouir dans les nuages. Je vole.

L’infirmière vient me voir.

- Votre fils et votre mari vont mieux. On les a mis dans la même chambre.

 

- Tu vois, tu sautes de nuage et nuage. Et tout va mieux, entendé-je Lillo dire à Gervald.

- Comme ça ? Lui dit son père. Comme ça ?

- Oui, mais un peu plus profondément, papa. Enfonce-toi dedans pour les sentir te caresser.

 

Pour la première fois, je vis un franc sourire s’épanouir sur le visage de mon mari. Mon homme.

 

Je leur souris.

- Tiens, un bonbon maman. Papa en a pris aussi, rajouta Lillo tout fier.

Je pris le bonbon et il fondit dans ma bouche comme un nuage.

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1 octobre 2018 1 01 /10 /octobre /2018 11:27

L'homme était élégant. Son veston bien cintré le faisait ressembler aux messieurs des années 30. Clope au bec - exceptionnellement car d'habitude il mâchouillait sa pipe - il éjectait avec des gestes délicats la fumée de sa bouche.

Soudain l'horloge sonna 8 heures. L'horloge de l'église du quartier. 8 heures! Il fallait se dépêcher. Il se calfeutra dans son veston et accéléra l'allure. C'est rapidement qu'il atteignit le SOSSO Café.

Un petit PMU faisant l'angle de la place Jules Vallès.

Il entra doucement. S'il avait pu sonner pour prévenir de son arrivée, il l'aurait fait. Oh! Pas pour claironner à la cantonade: attention, j'arrive. C'est moi que v'là!

Non. Plutôt comme le faisaient les gens d'antan, les vieilles gens aux vieilles coutumes, les hommes d'un autre âge, les hommes courtois... Je m'excuse de vous déranger. J'en suis à l'avance désolé. Je suis confus pardonnez-moi mais j'aimerais entrer me mettre au chaud, comme ça. Là. Entre vous, me calfeutrer. Pardon. Merci. Voilà. Là.

Il entra. Donc. Dans le café encore un peu sombre de ce matin d'hiver il prit place. Au comptoir. Le patron avait fait mine de ne pas le regarder. Ou peut-être n'était-ce pas une posture. Peut-être bien ne l'avait-il pas vu. Le discret personnage. Une heure passa. Longue. L'horloge coincée au-dessus du comptoir égrenait les secondes.

Au bout d'une heure dix, le client gauche et timide osa un "patron?". Une question dans laquelle sonnait une espérance. Une hésitation teintée d'un espoir à peine voilé, glissé du bout des lèvres.

Le patron, qui essuyait un verre, s'approcha.

-Hmm? demanda-t-il.

-Pourrais-je s'il vous plait sans trop vouloir abuser demander une pinte de bière?

Le patron, mal rasé, bougon, réprima un rictus. Amusé de ces phrases à rallonge que ce client lui servait tous les matins.

-Au comptoir? s'enquit-il.

-Tout à fait, répliqua le faux dandy.

 

Alors, et ce sans quitter son siège, l'homme commença tout un rituel. Il huma la boisson fermentée. Il sortit un mouchoir et essuya le pourtour du verre. On n'est jamais trop prudent avec les microbes. Puis il but une gorgée, oh une minuscule gorgée du précieux breuvage.

Mais qui parcourt la vie et en connaît toutes les habitudes et tous ces rituels qu'on positionne comme autant de barrages à l'anxiété, sait aussi, disons apprend un jour ou l'autre à faire avec l'imprévu.

L'imprévu, dans cette histoire, s'appelle Gertrude. Une voix de rocker nasillarde, une grande gueule, une pousse-toi-de-là-que-je-m'installe.

Gertrude, c'était un peu une femme déménageur. Pas de dentelle. Pas de moui moui moui.

Avec Gertrude, ça passait ou ça cassait.

Et ça cassa.

Comment le bel équilibre du dandy, Georges, fut rompu, on ne se l'explique pas bien.

Toujours est-il qu'il fut question d'un rotweiller. Que Gertrude laissa vagabonder dans le café.

Que celui-ci renversa des chaises. Qu'il fit un boucan pas possible.

Le monsieur, Georges -appelons-le ainsi car c'est son nom de naissance - essaya la complicité. Il essaya de sourire. Il s'enquit de même de la santé de cette étrangère. Qui s'en ficha éperdument. Elle engloutissait méticuleusement son quatrième whisky.

Le patron commença à la menacer.

-Votre chien, madame, vous pourriez le tenir! On n'est pas dans un cirque ici!

La bonne femme rugit. Elle gueula de toute sa voix.

Notre dandy, Georges, n'y tint plus. Il s'enfuit illico-presto de ce café où le danger avait pointé le bout de son nez. Il courut dans le village, passa devant la boulangerie, passa devant l'église qui sonnait 11h30. S'essuya le visage. Remit en place son veston. De la tenue, nom d'une pipe! Il faudrait bien qu'il retourne au café demain. Prendre une pinte. Ah là là, les aléas de la vie. "Méchante femme" se prit-il à penser, seule touche de noir dans sa vie blanche comme un carrelage sans tache.

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1 octobre 2018 1 01 /10 /octobre /2018 11:00

J'avance. Dans le bar malfamé, j'avance. Quelle ombre au tableau? Cette femme rouquine qui ondule sous la musique chaloupée.

Lieu de mauvaise vie. Lieu de l'ailleurs. Lieu de l'interdit. J'avance dans les odeurs de sueur, les odeurs musquées. J'avance dans la torpeur et je me mets au piano. Et je chante une femme simple, fraîche et fragile. Et la rouquine chaloupe encore.

Je ne saurai jamais sa peau. Peau de l'interdit et de l'ailleurs. Je ne saurai jamais son goût.

La féline entame une danse. Tel un serpent. Tel un reptile. Tel un fauve libéré de sa cage.

Et elle sort de sa cage.

Une voix rauque, d'outre-tombe défie le silence qui a pris le bar. Lascive, elle se donne. Voix velours.

Voix des amours. Du prémisse des amours. Quand la femme est une inconnue non encore aimée et qu'on désire attirer à soi.

Voix de l'enchantement du premier enlacement, seuls dans la voiture, la nuit.

Voix rauque du premier "je t'aime", si extrême, si neuf. Voix de l'inoubliable, cette première étreinte.

La rouquine est la femme simple, fraîche, fragile mais elle a quelque chose de plus. Elle est mystérieuse, envoûtante. Elle est la sève qui monte et qui se laisse hanter par un chant sortilège et des rumbas chaloupées.

Je suis dans mon lit et je caresse les cheveux blonds et soyeux de la femme que je souhaite épouser. Dans le sommeil d'où je la tire elle allume des yeux. Des yeux de féline.

La tendresse et la sensualité font-ils bon ménage?

La voix rauque de la rouquine se superpose à ma fiancée. Ce soir, je peux l'effleurer. Demain, peut-être elle s'évanouira. Mais pour l'instant, elle me regarde et son corps attend.

Rêve éveillé ou rêve endormi. Je préfère ma vie dans ses bras laiteux à tous les bars malfamés du monde. Je préfère rêver la rouquine et la trouver plusieurs fois par semaine dans les bras de ma blonde.

Je préfère vivre ma vie et avancer. Mais ce bar malfamé et sa rouquine, je les retrouve souvent dans un coin de ma tête. Je m'y sens alors un homme.

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14 juillet 2018 6 14 /07 /juillet /2018 22:12

Plie. Pliée de rire. Sourire, soulagée. Escamotée, la fin. Oubliée.

Je regarde la dame aux yeux ronds. Elle me susurre une douce comptine. Elle la suscite. Elle me fait des ronds dans l'eau. Murmures de bruit morts. Fruit défendu et ronds dans l'eau. Frissons. Glaçon. Soupir. Fruit.

Je pousse la porte du jardin et j'escamote la fin. Je rue dans les brancards. Je rudoie ma mère. Je lui dis "Tu". Tu vois? Tue-moi. J'ai pas les ailes pour voler assez haut pour toucher le Bon Dieu. Pour glisser sur son dos.

J'ai dit à ma mère que je ne me sentais pas aimée d'elle. Ma mère. Ma maman. Ma dame de coeur qui pique. Pique et coeur, et trèfle sur le carreau.

Pique et coeur et trèfle à carreau.

Ma maman de coeur rougit. Je ne le lui avais pas dit, et mon coeur, et tout ça, et ma rue aux abois.

Je pousse la porte du jardin et j'escamote la fin.

Soulagement. Sans fin. J'ai faim.

J'ai faim de dormir de m'allonger de soupirer de m'enorgueillir de m'oublier.

Je pousse la porte et qu'est-ce que j'y vois? Ma mère aux abats. Elle tire sur la machette. Elle couple. Elle sarcle. Elle déchiquète. Elle rumine avec soin. Ma mère ne me sait pas. Elle ne m'aime pas. Elle ne me sait pas. Et je ne sais pas pourquoi.

Je regarde son regard. C'est un regard oublieux. C'est un regard rieur. C'est un regard charmeur et charmant. C'est ma maman.

Ma maman ne sait pas les mots qui enveloppent, ou si peu. Ma maman ne sait pas me voir.

Elle ne me voit pas. Alors je fais semblant de la croire. De croire que je suis un ruisseau qui ruisselle dans les mots. De croire que je suis un fluide qui dégouline et qui passe, sans frontières, sans arrière, sans arrière pensée.

Et je trouve ma loi dans ces quelques signes-là. Partagés. Je me trouve en pointillés dans les rimes de mes poésies inventées. Je me découvre.

Je me quitte pour aller faire le marché. Léa rentre dans le magasin. L'épicier est en train de ranger les rayonnages à l'intérieur du magasin. Elle quitte le domicile. Elle choisit un légume. Les rayonnages à l'intérieur. Il faut lever le nez pour choisir. Il faut choisir. Elle prend trois aubergines. Elle va préparer une bonne ratatouille pour Yann. Elle va pas se gêner, tiens.

Elle épluche la première aubergine. Sans sentiments. Au scalpel. Puis elle la taille au couteau en mini morceaux, en mini cubes. Elle fourre le tout dans la grande poêle. Le temps chante autour. Elle prépare. Elle fait mijoter. La cuillère en bois pour remuer la sauce. Qui dégouline. Les morceaux sont devenus plus liquides. Plus mous. Plus tendres.

Yann rentre. Léa enlève son tablier.

-Ca sent bon, qu'il dit.

Léa sourit.

-Je sais, qu'elle dit.

-Qu'est-ce que tu m'as préparé? avance-t-il. Ca sent la ratatouille.

Il sort sa langue et se lèche les babines.

Le doux bruit des aliments qui mijotent. Un doux chant de jazzman en fond sonore. Le verre de martini à la main. Nos deux amoureux jubilent. La maison est remplie de bonheur.

Léa se découvre un appétit de moineau. Léa ne sait plus son mot. Le mot qui la dit, la révèle, qui peut interpeller. Elle s'assoit dans le canapé.

Parfois, la nuit, elle passe la porte. La porte du jardin, porte de ses secrets. Elle y découvre un toit et une cheminée. Roule sur le plancher. S'abîme se pose se cale et se calfeutre. Elle s'aime bien. Dans ces oublis-là. Dans ces nids de la vie. Elle monte une tente. Un toit. Un abri. Et là, elle peut tout imaginer. Que le ciel est bleu, la cabane enfantée. Elle parcourt les murs de toile de la tente fermée.

Elle s'endort.

Il est rare qu'elle sorte du jardin embaumé. Il est rare qu'elle se laisse entraîner. Loin de chez elle. De son rêve enfanté. Il est rare qu'elle ouvre la porte de l'autre côté.

Dehors, c'est noir comme le goudron. Ca palpite et ça s'agite. Ca crie dans tous les sens. Ca va à toute allure. Ca dépasse, ça bouscule. Ca crie dans le téléphone. Ca engueule un enfant qui joue au milieu de la route. Ca gesticule pour pas grand chose. C'est un brouhaha. Ca s'appelle la vie.

Ca pique et ça rotule. Dame de coeur qui pique, tiens-toi à carreau, tu pues le trèfle.

Alors Léa écrit tous, tous ces mots-là. Elle les crie de son jardin embaumé:

Léa sourit. Elle escamote. Elle rote. Rot du cri de l'enfant. Rototo. Léa est une enfant enfin.. Qui se roule dans son jardin.

Plie. Pliée de rire. Sourire, soulagée. Escamotée, la fin. Oubliée.

Je regarde la dame aux yeux ronds. Elle me susurre une douce comptine. Elle la suscite. Elle fait des ronds dans l'eau. Murmures de bruits morts. Fruits défendus et ronds dans l'eau. Frissons. Glaçon. Soupir. Fruit.

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