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17 mai 2013 5 17 /05 /mai /2013 20:21

                                                            Zechuro.

 

 

Il était noir. Il perlait de sueur. Son marcel laissait apercevoir ses muscles saillants. L’homme aux mille sourires. White. Les dents blanches sur la peau noire.

C’était l’homme de main de papa. Mon père possédait un ranch. C’était son chauffeur. Son rire résonnait jusque sur les collines d’Algérie. Son rire résonnait comme un écho, avec un aller-retour long, très long, aussi long que le voyage d’un rossignol, des pays froids jusqu’aux pays chauds. C’était l’Amérique. Le chapeau de cow-boy. Les éperons sur ses santiags de camarguais. C’était la Provence. C’était l’allure vitale. Je me réchauffais de sa présence.

 

Un jour, papa - j’étais une petite fille - , lui demanda de monter Strange, une belle jument couleur de châtaigne. Zechuro était très fier. C’était une nouvelle responsabilité que de mener les vaches aux pâturages. Strange était une jument au caractère bien trempé, ses grandes babines, qui frémissaient souvent, laissaient apparaître de grandes dents.

Zechuro alla garder le troupeau. Je me souviens de ce matin où papa lui avait confié Strange. C’était la plus dure des juments à diriger, la plus hautaine. Elle prenait, montée par ce beau noir, une allure insensée.

Je le revois, sur elle, tous deux ne formant plus qu’un. Avec ce pantalon marron moulant que portent les cavaliers. Il était là, avec son chapeau, riant au vent, riant aux alizés. Il était là, joyeux, droit comme un I, et moi, petite fille, j’aurais voulu connaître cet espoir dont il était imprégné. Les bestioles qui aiment tant s’accrocher aux chevaux, emprisonnaient la lumière, et l’on eût dit des lucioles voletant autour de lui. Il rayonnait, le soleil se levait dans son dos. La couleur du ciel, aux teintes claires, bleues et rosées, témoignait de l’air frais et matinal de la Camargue.

Il était.

Il partit ce matin-là, plein de grâce. Il revint, le soir. Mais ce n’était plus lui.

Il revint sur un brancard, le grand noir américain ; il revint perdu comme un nouveau-né. Strange l’avait éjecté. Elle était surtout garce, cette jument. Je l’aurais volontiers rouée de coups. Je lui aurais avec délectation tordu le cou.

 

Ce soir-là, j’en voulais à la Terre entière. Mon beau rêve américain s’écroulait. J’étais jeune à cette époque. Je dus intégrer l’école. J’avais trois ans. Et je commençai à oublier Zechuro, qui avait été licencié, car, malade, il ne servait plus à papa.

 

Les cours succédèrent au temps des cerises et à celui des blés. L’accident de Zechuro restait ancré dans ma mémoire. Je grandissais en âge et en beauté. Mon père, heureux, me voyait réussir examens après examens.

            Et puis, j’eus dix-sept ans. Je passai mon baccalauréat et l’eus avec mention Très Bien. J’étais la plus heureuse des filles-à-papa. Pendant toute une nuit, nous fîmes la fête. Mes parents, divorcés, se réunirent pour l’occasion. Papi et Bonne-Maman, Grand-Père et Grand-Mère furent aussi de la partie.

Je touchais pour la première fois au doux goût du champagne. Une famille fêtarde, voilà de quoi j’étais issue. Des parents riches, pour qui l’argent est l’essence de la vie. Mon instinct me dit de m’enfuir à la ville. J’y passai un an. Mais mon père, et son ranch, me manquaient. Pourtant, la maison de mon père retrouvée, je n’en fus pas pour autant plus heureuse : je devins lasse, comme après une longue bataille. Mon père sentit mon malaise. Il me proposa de reprendre le ranch. Et moi, je repensai à Zechuro. A cet homme en pleine force de l’âge à qui j’avais donné mon âme de petite fille.

           

            Je repensai à la façon malhonnête dont il avait été remercié. Lui si fier de savoir monter à cheval. Lui si doux avec moi. Me montrant, et les rênes, et comment se tenir sur le grand animal.

Non, je n’aimais pas la façon dont mon père s’était débarrassé de lui. Depuis Strange, je n’aimais pas les chevaux.

 

Je hurlai à mon père ma haine des chevaux, ma haine de sa fascination pour l’argent, ma haine face à ce que j’interprétais comme du racisme, quant à Zechuro et à son renvoi.

 

 

 

            Un soir que je montai une jument extrêmement récalcitrante, dans les terres camarguaises, et que comme à l’habituée, je cravachais la bête à la moindre erreur, l’animal ma désarçonna. Je tombai la tête la première. Je ne pouvais plus bouger mes jambes. Fracture à la colonne, j’en étais persuadée. Je me dis, ma dernière heure a sonné, et personne n’est là pour m’écouter. Je pensai à Zechuro et à ce qu’il avait dû éprouver ce fameux jour, il y a vingt ans, le jour où cette saleté de Strange lui avait joué le même sale tour.

 

            J’étais perdue au milieu des terres. Quoique pas vraiment perdue : la jument resta à mes côtés, tout au long de la nuit, malgré le rude traitement que je lui avais infligé.

 

            J’étais comme un enfant sans défense devant elle. Le matin, elle me réveilla avec mille petites attentions. Soudain, j’entendis les vagues au lointain et devinai ce ciel matinal camarguais, si particulier. Le bleu pâle, le rose et le doré. Je repensai à Zechuro, ce matin-là, à cette grâce qui m’avait touchée, le bonheur de Zechuro. Et, tout en caressant doucement le museau couché sur mon épaule, je réalisai que je devais me préparer à des heures bien douloureuses - je resterais peut-être handicapée - mais aussi que je l’avais enfin retrouvé, mon rêve américain.

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17 mai 2013 5 17 /05 /mai /2013 18:13

Le lendemain, Sollen tâta l'air, chaud mais humide, qui l'entourait. Elle se réveilla apeurée, ne comprit pas tout de suite où elle était, les cheveux étaient mouillés. Plus d'oiseaux. Ambiance étouffante.On voyait son crâne luire grâce aux fragiles rayons de soleil. A sa droite, il y avait comme un nid doux et humide. Elle comprit... Tardivement. La pauvre petite hurla à la mort, prise d'une angoisse incontrôlable. Elle criait, elle pleurait. Tout se mélangeait, et les larmes, et la morve. Une impressionnante touffe de cheveux s'étalait sur la mousse où elle avait dormi. Comment cela avait-il pu tomber dans la nuit? En une seule nuit, tous ses cheveux, ou presque avaient disparu. Sollen hurla à nouveau. Un loup l'aborda.

Et pas de nounish.

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28 avril 2013 7 28 /04 /avril /2013 19:11

Nounish et sa chère Sollen marchèrent des jours et des jours. Il était heureux que la nourrice de la petite connaisse la campagne aussi bien. Elles traversèrent d'abord la grande forêt entourant le château. Nounish savait se protéger de la pluie et des bêtes tapies dans les bois. Elle apprit à Sollen à parler aux oiseaux, nombreux en Galla, le Royaume de son père. Elle lui expliquait les intonations différentes de leurs gazouillis, en fonction des sons qu'ils voulaient produire. Ils pouvaient ainsi exprimer leur peur, leur colère, leur amour, et bien d'autres sentiments, aux hommes attentifs à leurs doux murmures. Le premier soir, n'ayant pas trouvé de refuge, et le temps se prêtant à une nuit à la belle étoile, elle exorta la petite à se laisser porter par le chant des oiseaux, et ce fut un miracle: tapie dans les bras doux et fermes de sa Nounish, Sollen laissa les volatiles lui raconter une histoire magique, dont le héros réccurrent était un Prince bien particulier, dont elle se figura le visage, puis dont l'image devint floue, pour disparaître quand la chère enfant trouva le sommeil. Elle respira enfin profondément, comme elle ne l'avait pas fait depuis longtemps. Une larme coula.

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22 avril 2013 1 22 /04 /avril /2013 20:02

Nounish insista pour que la petite puisse être élevée ailleurs. Elle obtint une audience spéciale auprès du Roi. Celui-ci la dédaigna, mais Nounish avait du sang breton. Autant dire un tempérament de feu. Il ne se méfiait pas de ce petit bout de femme... Qui exposa si bien ses craintes au sujet de Sollen que le Père et la Mère, soucieux, acceptèrent que Nounish éloigne Sollen de "l'air malsain du château", et apprenne à vivre de façon plus humble mais plus constructive. Nounish resterait avec sa protégée, bien sûr, et elles iraient chez un sien cousin. Sollen n'aurait plus à faire semblant d'être heureuse. De sourire à tous ceux qui faisaient, en même temps que la cour au Roi, des simagrées pour lui plaire, elle, une gamine de cinq ans!!! Les insensés!

 

Sollen partit le surlendemain, chevelure frippée, pleine de noeuds. La petite était sous le poids d'une sourde appréhension, elle serrait fort son nounours et se collait aux jupons de sa nourrice. Elle n'aurait plus qu'elle désormais.

 

Elle avait à peine effectué cent mètres qu'elle se retournait, pour garder une image de ses parents. Mais elle n'en crut pas ses yeux, ils avaient déjà le dos tourné, ils pensaient déjà aux occupations qui les attendaient, sa mère, ses expériences, son père, son simulacre de vie.

 

Elle s'accrocha à sa Nounish.

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29 juillet 2012 7 29 /07 /juillet /2012 16:27

Elle courut chercher sa nounou. C'était la seule personne à qui elle se confiait. Mais elle ne lui avait pas encore avoué qu'elle avait surpris son père en train de tromper sa mère. Elle lui raconta tout, et son père ce salaud!, et sa mère cette idiote! Comment pouvait-elle accepter pareil traitement?

La nounou, surnommée "Nounish" par la petite, écouta tout et serra l'enfant contre ses seins si moëlleux. Elle sut même pour l'attaque contre le Roi.

Nounish caressa les cheveux si soyeux, si beaux de Sollen. C'étaient des cheveux capricieux. Ils avaient besoin d'aide, de soutien. De caresses. Tout chez Sollen se ressentait dans ses cheveux. Ainsi, si elle tombait malade, le voyait-on à ses cheveux qui devenaient ternes. Mais seule sa nounou connaissait sa Sollen. Sollen ne pleurait pas. Ses cheveux se brisaient, cassés, quand sa tristesse devenait insoutenable. Même Sollen ne connaissait pas cette anecdote, comment l'on pouvait lire en elle. Mais sa nounou veillait sur elle, son trésor. Elle la prenait dans ses bras et chatouillait ses cheveux à chaque moment de blues. Ce qui avait pour effet de lui redonner son pep's habituel.

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28 juin 2012 4 28 /06 /juin /2012 17:00

Mais elle fut étonnée de ne pas atteindre son père. Par contre, celui-ci remarqua ce jet de babets enragé. Il regarda tout autour de lui mais ne découvrit pas d'où venaient ces projectiles. Affolé, il fit appeler la garde. 

- On veut me tuer! On veut me tuer!, hurla-t-il.

Les soldats se réunirent auprès de lui. Même Gontrand le Preux quitta le lieu où il se baignait avec une belle, pour s'habiller et rejoindre le roi. Tous étaient soucieux. Qui en voulait au Roi. Qui lui en voulait assez pour le menacer dans son propre palais.

 

Pendant ce temps, Sollen quittait l'arbre où trônait sa cabane. Elle était furieuse, contre elle-même. Elle n'avait pas réussi à faire tomber son père de son rocher. Il allait encore lui faire du grabuge, abîmer son coeur, il allait encore détruire ses idées sur l'amour. Il allait encore faire inconsciemment du mal à sa mère. Car oui, elle le savait, l'inconscient existait. C'était sa mère qui le lui avait appris.

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19 mai 2012 6 19 /05 /mai /2012 20:23

La princesse descendit de sa tour. Elle se mit à suivre son père dans tout le château. Elle voulait se venger, elle voulait pouvoir croire en l'amour, elle voulait le virer. Il se promenait, imbus de lui-même et les courtisans, ceux qui n'en voulaient qu'à son argent et ses faveurs, telles que des terres en plus, le suivaient mielleux à souhait. Pathétique!, songea-t-elle.A un instant, elle le vit seul. Il devait attendre une gourgandine... En haut d'un rocher, dans le château fort. Vite, elle se précipita à l'extérieur. Elle connaissait un pin majestueux qui surplombait le rocher. C'était une de ses planques, elle y avait construit une cabane, avec sa nounou. Elle grimpa vaillamment. La colère était si forte qu'elle lui offrait des ailes. Arrivée en haut, elle avait fait le plein de munitions. Elle visa, et  projeta sur le roi les babets ramassés. Objectif: le déstabiliser. En un mot. Le virer.

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19 mars 2012 1 19 /03 /mars /2012 18:08

Gontrand Le Preux était un personnage. Un chevalier très respecté dans la cour du roi. Mais Sollen le craignait. Justement parce-qu'elle l'estimait. Ce n'est pas parce-que l'on a six ans qu'on ne ressent rien. Mais elle le regardait, ce Gontrand. Comme toute la cour, d'ailleurs. Seulement Sollen avait un oeil de lynx, elle. 

Rien à dire. Il était le meilleur en tout. Le meilleur cavalier. Le meilleur chevalier. Le meilleur chevalier servant. Le meilleur stratège. Le meilleur conseiller du roi.

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5 février 2012 7 05 /02 /février /2012 14:03

Elle dormit toute la nuit. Le lendemain matin, elle entendit les troupes du roi son père revenir de bataille. Les chevaliers, menés par le beau Gontrand Le Preux, montaient sur les rochers environnant le château, bannière flottant au vent.  De là-haut, au sommet de sa tour veillait Sollen, la Princesse Sauvage. Personne ne la voyait jamais, malgré ses très longs cheveux blonds, si longs qu'ils dépassaient souvent du lieu où elle espionnait le Roi et sa cour. Mais elle savait tout. Et parfois, elle aurait aimé être moins sauvage!

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7 janvier 2012 6 07 /01 /janvier /2012 16:48

La maman de solenn ne fut pas déconcertée pour un sou. L'amour? Ce sont des émotions chimiques, ma chérie. Une femme choisit en général un homme qui ressemble à son père, vois-tu?

 

-Beuh! Mais moi je ne veux pas me marier avec papa! Il est trop vieux! Et puis, c'est pas vrai, tout ça!, reprit-elle.

Mais si, assura sa maman. Ou alors, nous les filles, nous choisissons un époux qui est exactement l'invers de notre père, mais sinon, je ne vois pas... C'est la science, ma chérie. Cela s'appelle les sciences humaines. 

-C'est même pas vrai tout ça! Menteuse! Menteuse! hurla Solenn.

 

Elle était déchaînée. Sa mère la toisa du regard.

 

Dans les yeux de Solenn, l'on pouvait lire toute la douleur du monde. Mais la reine détourna le regard, trop occupée par l'expérience qu'elle effectuait. Un sucre qui s'enflamme à l'aide de cendres! Intéressant...

Voilà, c'était toujours la même histoire, avec sa mère. Maman s'envole dans une volute de fumée, les yeux dans le vague, sourire aux lèvres.

 

 

 

-Quel conne! pensa la pauvre petite Solenn. Tu ne vois pas que tu te goures complètement? Elle pensait à sa mère qui avait accepté d'épouser son père. "La petite sauvage", ainsi qu'elle était surnommée dans le royaume escalada les rochers qui menaient à sa tour, celle qui surplombait tout le château. 

"La petite sauvage" passa sa nuit à regarder les étoiles.

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