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12 janvier 2022 3 12 /01 /janvier /2022 22:47

Je me réveillai dans la nuit. Il devait être quatre heures du matin. J’avais regardé mon réveil qui accusait une dizaine de minutes de retard.

Le vide. Le noir. L’absolu silence. Seule une brutale lumière verte indiquant la sortie. Je ne savais pas sortir. Je ne voulais pas sortir. Je ne voulais pas m’en aller. Mais contempler. Seule. Là. Ici.

La lune se délimitant dans la nuit noire par un doux croissant. La lune osseuse. La lune odieuse. La lune lumineuse comme un soleil d’été recouvert par la pluie.

Je n’avais pas rêvé. Je ne rêvais pas. La lune me souriait. La lune semblait me sourire. Je l’admirai. Assise devant la fenêtre, les jambes croisées, le dos courbé, vers la vie ; vers l’extérieur.

Je n’étais pas capable de sortir. Mais tendue vers la sortie. Tendue vers la lune réjouissante, avec sa douce lumière diffuse. Le noir du ciel n’était pas vraiment noir. Il était plutôt bleu sombre. Bleu profond. Bleu gris. Bleu ombré. Bleu ombrageux. Bleu orage. Bleu profond, oui. Bleu comme la mer quand elle est orageuse. Et je rêvais.

Je rêvais d’elfes, de lutins, de douces sorcières, de fantaisistes fées. Et bien au chaud dans ma chambre dont la température était agréablement tempérée, je rêvais devant le monde de la nuit.

La douceur de ce moment. La solitude de ce moment. Tout concourrait à me rendre heureuse.

C’était comme retrouver un doux chemin d’enfance, un émerveillement tranquille. Oui. Osé. Un émerveillement tranquille que j’osais.

J’y vis un clin d’oeil de mamie Mauricette.

Oui. Un clin d’oeil de ma Reine.
Dans cette douce nuit qui s’offrait à moi.

Dans ce bras de fer avec moi-même à la clinique Saint-Martin. Avec mes démons. Avec mon passé. Je trouvais un réconfort jamais égalé. Mis à part les moments, de plus en plus fréquents où je peignais. Je retrouvais la paix que j’éprouvais alors en appliquant l’aquarelle sur la feuille récalcitrante puis amie. Etrangère, puis confidente.

Dans cette nuit offerte, c’était la même sensation. Comme une reconnexion. Avec l’essentiel. Avec ma muse amie. Avec mon autre, mon étrangère. Ma douce Reine. Enveloppée dans la douceur des doux yeux de la lune.

Mamie Mauricette qui me souriait. Qui osait me sourire. Je contemplai la lumière diffuse du croissant de lune et émue par tant de calme, d’accalmie, d’harmonie, je me laissais aller et une larme coula. Puis une multitude de larmes apaisantes.

C’est alors que je revis naître en pensée, le visage interrogateur de ma mamie, qui me regardait qui enveloppait mon âme de son doux regard de passion. Et je me souvins que je l’aimais et que je l’avais toujours aimée. Ma douce. Ma sereine. Ma Reine.

Ma sœur. Mon âme, sœur. Et je lui dis au revoir. Je fermai les yeux. Quand je les rouvris, son image s’estompait dans le sombre de mes pensées. Elle semblait vouloir partir, comme une image qui perd en substance.

Je fermai les yeux. Je n’avais plus peur. Désormais je savais qu’en un instant, dans des conditions favorables, peut-être similaires pour commencer, je pouvais invoquer le doux regard de ma mamie. Je savais qu’elle n’était pas éteinte. Qu’il suffisait d’un croissant de lune par une nuit calme et contenue dans une solitude bienvenue, pour que je me souvienne. Cela me fit du bien.

Il me suffisait d’ouvrir les yeux sur le monde qui m’entourait. Et de peindre mes souvenirs. Les rêver du moins.

J’étais bien.


 


 

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5 mars 2021 5 05 /03 /mars /2021 20:08

Je me levai le matin et bullai en écoutant de la musique. Carla Bruni. Douce voix, un peu rocailleuse, un peu cassée, un peu comme ébréchée.

Chansons d’espérance. Chansons qui me laissaient croire en l’amour. Emplies de doutes et de doux présages.

Je portai une tasse de thé dans ma main et je la posai lascivement sur la table basse. Dans mon T1 cocon.

Je laissais la musique me bercer, me calmer, m’apaiser, me faire rêver.

J’étais heureuse. Je n’avais pas fermé les volets pendant la nuit et avais donc été réveillée par la lumière du soleil ce matin-là.

C’était un rituel qui s’était mis en place.

Du travail m’attendait. Je pouvais – et devais – me lever tôt dorénavant. Afin de me laisser le temps d’émerger pour pouvoir ensuite « travailler », « bosser », construire ma vie. Me construire un avenir.

 

Heureuse préparation. Heureux préparatifs.

Je regardai la belle feuille blanche placée sur mon chevalet.

Elle m’attendait et je l’attendais aussi.

J’attendais de retrouver son grain.

Depuis quelques jours, je peignais aux crayons aquarellables.

Je regardai les crayons, bien rangés dans leur boîte. Pendant que la douce voix de la chanteuse m’émoustillait.

 

Puis, après une bonne heure de rêveries, je pris mon petit-déjeuner. Il était 9 heures.

Je n’irais pas au Café des Platanes pour travailler, cet après-midi. Je devais voir Habib, du groupe de parole, on avait rendez-vous on ne savait pas encore où. Au Café des Platanes ou chez lui. On aviserait.

 

J’avais prévu de bosser autant de temps que je le pourrais ce jour-là. Ce matin-là.

Je commençais à prendre le pli.

A m’habituer à travailler régulièrement.

Cela demandait de l’assiduité, de la persévérance. Cela était salvateur. Cela me sauvait. Chaque jour un peu plus.

 

Après avoir pris mon petit-déjeuner, je me posai face au chevalet.

Sur un siège sans dossier. Un joli tabouret rembourré.

Je hissai mon dos en hauteur, je m’étirai.

Cette douce lumière qui filtrait par ma baie vitrée, ce calme ambiant… tout cela m’habitait, me hantait… Je savais que j’étais là à ma place. C’était ma place d’inventer, de créer des mondes imaginaires.

 

Je m’appliquais à tracer des lignes droites, des courbes. Des sourires fraises. Des yeux cerises. Un joli nez rouge rond et rafraîchissant comme une pomme.

 

Mes doigts tenaient le crayon et l’appliquaient avec bonheur sur le papier. Retrouver cette sensation, cette sensualité. Caresses lourdes sur le papier.

 

Je dessinai ce matin-là un clown d’après des croquis effectués au Café des Platanes. La bouche d’un des usagers de ce café, les yeux d’un autre, les cheveux en bataille d’un troisième.

 

La vie s’infiltrait en moi, comme la musique m’imprégnait et m’aidait à poursuivre ma route.

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18 novembre 2020 3 18 /11 /novembre /2020 21:07

Parcourir le monde autour. Et chanter dans les champs. Savoir que vous êtes là mes amis. Et prier ; et s’en aller.

Retrouver l’unité. D’un lieu unique, par voie de fait, par voie de son. Par voie de voix.

 

Léa déboutonne la ceinture de son pantalon et ouvre la fermeture éclair. Assise comme elle est, elle veut respirer. Sentir la brise entrer, lui caresser les cheveux.

Et péter, mon vieux, rugir de joie.

 

Regarder les lumières au loin qui s’acheminent, qui lui disent « coucou ».

 

Léa adore entendre les « coucou » dans les rues de sa ville.

Retrouver son T1. Son îlot. Ranger. Et être si bien. S’être créé un nid, ailleurs. Quelque part.

Dans son cœur.

Il paraît que le cœur existe, qu’il est fort mais faible. Que plus il se fait fragile, plus il peut se nourrir.

Léa réfléchit : il paraît que j’ai un cœur !?

Léa passe l’éponge sur la table. Elle s’agenouille vers sa table basse.

Parfois, elle aimerait quitter ses contingences. Quitter ses frontières. Partir au-delà. Partir au-delà de sa peau.

Mais rien n’est plus beau que la peau. Rien n’est plus tendre que la peau. Rien n’est plus fort que la peau. Tout s’expatrie sur la peau. Tout s’y imprime. Tout prend des couleurs, se forme dans sa peau.

Le corps est son salut. Vous avez dit « le cœur » ?

Léa touche ses avant-bras, caresse ses cheveux, brosse sa jambe gauche d’un mouvement lent et longanime. Longanime, cela veut dire généreux. C’est un peu le mix de long et unanime.

Sauf ce « a » au milieu qui débute une histoire.

 

Pas de rage aujourd’hui. L’acceptation. Léa a quitté pour un temps la quincaillerie de Yann et son appart au- dessus pour se retrouver dans son T1 à elle.

 

Son homme. L’homme qu’elle aime, l’homme qu’elle rêve – dont elle a tant rêvé. Son homme est en train de lui tricoter une histoire.

Léa ne sait pas trop qu’en faire, de cette histoire. Est-ce une histoire de fée ? Est-ce une histoire de haine ? Une histoire pour rigoler ?

Une histoire pour charmer ? Une histoire pour aimer ?

Léa est en repos. L’histoire se détricote.

Léa, le cœur de Léa bat plat et s’esquiffe.

Malgré le manque d’enfant, elle y trouve des couleurs, à son T1.

Elle peut s’y poser. Le danger est loin.

Léa aimerait appeler Yann, sur son fixe de quincaillerie. Lui demander, en prenant une voix haut perchée : « Bonjour Monsieur, auriez-vous une cafetière high tech. Comment ça non ? Mais on m’a pourtant affirmé que vous étiez le seul quincailler de cette ville ? Comment pouvons-nous faire si même l’unique quincailler de la ville ne vend pas de cafetière high tech ? Vous ne pouvez pas en acquérir une ?… Je vous aime, Monsieur. Pardonnez-moi. »

Léa rigole, elle rigole. Et Yann, qu’en dit-il ?

Il raccroche. Décontenancé. Pas de cafetière high tech. Non. Désolé madame.

L’amour ça prend au cœur et ça rassure. Ça donne des couleurs, et ça fait passer des caps.

Léa respire.

L’amour, y a que ça de vrai.

Léa respire.

L’amour. L’amour d’un homme c’est plus beau peut-être que l’amour d’un enfant. Plus fragile aussi.

Ne pas lâcher le fil.

De nos jours, l’amour a la ritournelle en balade.

A le chant en poupe.

A peur de sa fin, de galoper ailleurs, de trouver d’autres cœurs à aimer.

Peut-on s’engager. A vie. Et y croire ?

Peut-on prendre en compte notre propre fragilité. De cœur. Et celle des autres.

Rien n’est stable. Tout est mouvant, plutôt. Oui, c’est plus sûr de l’exprimer comme ça.

Le lien est une bien étrange chose. Qui se soude qui se casse qui se meut qui disparaît qui peut revenir dans sa tête tout contre, comme une petite ritournelle amie dont on se souviendrait.

 

« J’aime cette histoire » dit Léa.

« Bravo Yann, tu me construis un beau roman. »

 

Léa est une femme sans enfant.

Elle croyait vraiment qu’elle pourrait en avoir si elle rencontrait un homme fort, équilibré, et qu’elle aimerait à la folie et qui l’aimerait aussi.

Mais non. Il y a des femmes, Monsieur, qui ne peuvent, qui ne veulent ou ne peuvent, enfanter.

 

Pauvres folles, égarées. Incomplètes.

 

Mais plus fortes aussi. D’avoir renoncé. Par peur de leur propre violence. D’avoir renoncé à l’enfant.

La fatigue. Le trou dans la peau. L’impossibilité psychique et physique de donner la vie. Cette terre inconnue.

 

Ceci est un manifeste ! Pour les femmes qui ne peuvent enfanter. Comme une case en moins. Comme un bordel en plus. Comme ce T1 où Léa se réfugie aujourd’hui. Et où elle boit, mon vieux.

Encore une fois, elle cherche à se remplir.

Peut-être pour pleurer d’en bas.

Ce qui manque à Léa. C’est une peau.

Pouvoir se séparer et ne pas se perdre en route.

Ce soir, pour ne pas s’égarer, elle pose tous ces mots sur le papier. Quand donc avons-nous compris que l’autre pouvait nous envelopper, nous envelopper au point de nous rassurer.

Vaste question. Vaste problème.

 

Léa explore sa peur enracinée. Cette peur qui la fait dépendre des autres, se laisser malmener, se laisser manipuler. Pas respecter.

C’est important d’avoir un lieu où se calfeutrer. Un lieu à soi. Pour soi.

 

C’est une drôle d’histoire que Yann lui raconte ce soir.

 

L’histoire d’une jeune femme perdue sans ses parents, n’ayant pas coupé les ponts. Trop proche que ça en est violent. Incapable de se mouvoir sans un tuteur. Elle a appris à prendre des autres.

À se gaver d’affection à droite et à gauche.

Elle est d’une ingratitude extrême. Prend mais donne si peu. Elle veut finir d’être construite.

 

Avant, elle voulait finir d’être construite pour son enfant. L’enfant, il s’évapore. Elle n’est pas capable d’en avoir un.

La lumière arrondit les angles et soupèse l’ensemble.

 

Qu’est-ce qu’aimer un enfant ?

Qu’est-ce qu’avoir un enfant ?

C’est porter la vie en son sein et l’accueillir, lui donner un avenir, tenir l’avenir à portée de main, l’avenir si fragile et si prometteur à la fois

 

Qu’est-ce que renoncer à l’enfant ?

C’est peut-être vivre séparé de ses parents. Léa a écrit « ses enfants » au lieu de « ses parents ».

Léa rigole. C’est vrai qu’en tant qu’aînée, elle a peut-être aidé ses parents à accoucher d’eux-mêmes. Et cette idée, ce renversement des situations l’apaise. Elle a eu son rôle. Son rôle à jouer. Dans sa famille.

Elle doit beaucoup à ses parents mais certainement ils lui doivent beaucoup aussi. Chut ! Elle n’en dira pas plus.

Yann vient de l’appeler : « Dis, lui sussure-t-il, tu viens, mon amour? »

Alors, c’est ça, exister ?

Dans la séparation, une pensée, un appel.

Léa lâche le stylo qui hante sa main. Les mots forment une peau. Les caresses peut-être plus. Les caresses touchent et marquent. Les mots restent. C’est un miracle ! Amen.

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26 juin 2020 5 26 /06 /juin /2020 22:43

Je regardai la salle en conquérante désormais.

Une bouffée de confiance m’avait envahie. Je commençais à parvenir à affronter les regards des visiteurs. Je vis un bel homme arriver au loin. Il s’approcha doucement. Des gens lui barraient le passage. Je le perdis de vue puis le vis avec Solange dont les toiles étaient situées près des miennes. Ils semblaient bien se connaître. L’homme gesticulait des bras, il plaisantait. Il semblait très vif et parlait avec Solange de ses toiles. Il resta quelque temps vers celle-ci, à admirer ses tableaux. Ce devait être un amateur d’art riche, les toiles de Solange n’étaient pas à la portée de n’importe quel porte-monnaie. Puis, sans que je l’ai vu arriver il parvint jusqu’à moi. Les cheveux poivre et sel. Un costume cravate très élégant. Manifestement nous n’étions pas du même monde.

Je fus impressionnée par son charisme. Et par son allant. Il y avait quelque chose de très maîtrisé dans son attitude qui lui donnait une aisance naturelle pour parler en société. Il s’approcha à pas de loups de moi, après avoir regardé attentivement chacune de mes œuvres. Un sourire grignotait sur ses lèvres. Celui-ci s’effaçait, puis revenait, comme par miracle. Très rapidement, il s’approcha de mon clown roux. Cela ne m’étonna pas. Je crois que c’était la toile la plus aboutie de toutes celles que je présentais ce jour-là. La plus originale, sans conteste la plus personnelle.

- C’est de vous ? Me demanda-t-il visiblement troublé.

La voix était faible et rauque, comme sous le coup d’une forte émotion. Je n’en revenais pas, il semblait si troublé par ce tableau, par mon travail.

Je répondis par l’affirmative, émue moi-même. Emue par sa propre émotion.

- C’est étonnant de peindre des clowns, me dit-il. Ce clown-là me parle beaucoup. Il semble tirer son sourire d’une étrange tragédie.

Je fus soufflée par la remarque. Quelle sensibilité devait avoir cet homme pour percevoir et mettre en mots ce que je ne savais dire moi-même.

Je le regardais non plus seulement avec admiration mais aussi avec curiosité. Oui, j’osais le regarder. Un peu plus. Ne plus systématiquement éviter son regard. Un regard chaleureux. Il était complètement séduit par mon clown. Et mon Dieu, quel enthousiasme ! Un enthousiasme semblant venir tout droit de l'enfance. Tellement empreint d’optimisme et d’énergie.

Je bredouillais. J’essayais de lui raconter ma démarche, avec ces clowns. Le positivisme et le négativisme. Le rire et la tristesse. Toutes ces façades qu’on tient pour faire semblant. Tous ces rôles que l’on joue. Je trouvais difficilement mes mots pour commencer, puis cela vint. J’étais plus à l’aise, je parvenais à sortir deux-trois mots qui ne dénotaient pas. Je fus soulagée.

Il m’écoutait, attentif, et ses pensées semblaient dépasser le cadre de mes paroles.

Il semblait sous le charme de mon tableau.

Mais il avait vu juste dès le début. Un sourire qui jouxte une tragédie.

Je ne pouvais pas m’aventurer sur ce terrain-là. Il était miné. Il était trop personnel. Alors, j’en parlais à demi-mots. A mots couverts.

Il m’écoutait et posait des questions, jamais trop personnelles, jamais fades. J’étais étonnée.

Il me disait : « Vous peignez depuis longtemps ? »

Je disais : « Depuis mes treize ans »

« Et vous y trouvez un exutoire, c’est ça ?

Il semblait si bien comprendre les artistes, et les affres de la création.

C’était une rencontre comme il y en a peu. Je le mangeais des yeux. Je le dévorais du regard.

Il ne semblait pas s’en apercevoir, pourtant - je le sentais - J’avais l’impression qu’une proximité s’était créée entre nous. On parlait à demi-mots. Seuls, tous les deux parmi la foule. Temps suspendu.

Un « chéri », porté par une voix très aiguë nous surprit et interrompit notre conciliabule. Il releva la tête. Un sourire étonné flottait sur ses lèvres.

Nous nous tournâmes d’un même élan vers la femme qui avait prononcé ce doux mot d’une façon si abrupte.

Une belle jeune femme rousse aux longs cheveux tombant sur les reins, jupe sexy et corsage décolleté s’interposa entre nous.

Je compris. Je compris que l’homme enthousiaste avait une compagne. Je compris qu’il n’en voulait pas à mon cœur, et je fus déçue. Mais, je me trouvais soulagée aussi, qu’il n’y ait pas de jeu, pas d’enjeu de séduction entre nous.

La jeune femme rousse s’appuya contre lui. Je saisis chaque geste amoureux comme une perte. Et puis, à tort ou à raison, comme indécent dans ce lieu public. Elle lui demanda ce qu’il faisait à « poireauter » là. Il lui répondit gentiment :

- J’admirais ce clown, là.

Elle scrutait mes trois clowns, très différents les uns des autres.

- Lequel ? Demanda-t-elle.

- Le roux.

Elle le regarda en faisant un effort ce qui fit qu’elle ferma les yeux à demi pour mieux le voir :

- Il est laid, dit-elle.

L’homme, il s’était présenté et se nommait monsieur Jérôme de Montgolfier fut gêné par son absence de politesse et de délicatesse. Il essayait de se raccrocher à quelque chose.

- Ne dis pas ça, dit-il.

- Lui, ce tableau. Il est pas mal.

Elle indiquait celui représentant mon filleul, et déjà vendu.

Solange, située non loin de moi, et qui voyait le manège de la fille, me fit signe de ne pas me laisser faire par la rouquine incendiaire.

Je lui rétorquai donc, avec une pointe de fierté, que le tableau n’était plus à vendre.

Elle s’énerva. Elle tempêta.

- Mais, dites-moi qui l’a acheté, je vous le paierai le double. 

Elle ajouta :

- Je le veux, l’enfant du soleil. Je le mettrai dans la chambre de notre futur bébé, dit-elle à monsieur de Montgolfier en faisant une petite moue boudeuse.

Il sembla surpris, dit :

- Notre futur enfant ? Comme tu vas vite !

Le couple discutait vivement devant moi et je ne savais plus que faire.

Quand je lui réitérai mon « non », la rouquine partit, manifestement un peu ivre, fonça vers la sortie, en bousculant quelques personnes.

Jérôme de Montgolfier s’excusa auprès de moi et rejoignit sa chère et tendre si malheureuse – soit-disant – de ne pas avoir obtenu le portrait de « l’enfant du soleil ».

Elle m’avait parlé avec tant de mépris, de manque de considération, que j’étais heureuse que cette tempête ambulante soit partie. Je suffoquais. Je tremblais. Tout mon corps vacillait. Cela m’avait beaucoup coûté de l’affronter.

Et puis, elle avait le cœur d’un homme si beau et si délicat, si enthousiaste et si élégant que je l’enviai un peu. Elle avait un homme merveilleux pour l’aimer, moi je nageais et me noyais dans ma solitude.

Pour me remettre de mes émotions, j’allai me chercher une coupe de crémant avec quelques gâteaux apéritifs. La rouquine m’avait achevée.

Je revins vite vers le lieu où se situaient mes tableaux. Un futur acheteur risquait peut-être de venir ?

Les gens passaient mais n’osaient pas tous s’arrêter pour regarder mes œuvres de près. Quelques-uns cependant posaient quelques questions. J’essayai d’y répondre au mieux. 

Une petite fille passa, elle fit remarquer à son père qui la suivait, en désignant mon clown roux : « Il me fait peur, ce clown ! »

Le père sourit puis devint grave. Il répondit : « C’est là que ça devient intéressant ma chérie, quand une œuvre provoque chez toi une émotion. »

La fillette haussa les épaules et les deux, le père et la fille disparurent, devenant rapidement de brèves silhouettes à ma vue.

 Dans la galerie, le brouhaha était incessant. Des bousculades, des gens tous bien habillés. D’autres qui prenaient d’assaut le buffet. Les verres de vin, de crémant, de jus de fruit pour les plus sobres. Les voix qui portaient fort, qui portaient haut. La vie mondaine. Parler pour parler, pour se faire voir, pour se montrer, sortir des choses intéressantes sur quelques œuvres, faire son petit tour, puis, après avoir paradé, donner encore une fois de la voix, puis s’en aller, de guère lasse, peut-être après avoir acheté un ou deux tableaux, qui sait ?

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26 mai 2020 2 26 /05 /mai /2020 11:15

Jérôme se mit à se confier à moi. Il me disait « Estelle ceci » « Estelle cela ». Estelle, c’était son ex-compagne. « Estelle a fait un enfant à un autre » hurlait-il mais comme en sourdine. Il se répétait, il répétait ces mots, inlassablement : « Estelle m’a trahi », me disait-il.

« Coup de poignard dans le dos » assenait-il, et ses yeux hagards devenaient illuminés, comme fous. Etourdi par une rage sourde qui le prenait, l’étripait, l’agrippait, l’étranglait, presque.

Et j’avais peur pour lui, quand il se mettait dans cet état-là.

Il secouait alors la tête, en signe d’incrédulité.

Comment celle qu’il aimait tant, avec qui il s’était projeté toute une vie, pour toute la vie, avait pu vouloir le faire devenir père d’un enfant qui n’était pas le sien.

Il me raconta. Un soir. Le soir où il avait découvert le pot-aux-roses. Comment elle l’avait trahi. Le baiser.

Il me dit : je m’en souviendrai toute ma vie de ce baiser langoureux que je l’ai vue lui donner à lui. Un vague confrère. Un peu plus riche, un peu plus beau.

Ce baiser lascif c’était pire que tout. Pire que pour le bébé, il me dit. Pire que la trahison, le mensonge.

Ce baiser lascif qu’elle avait offert à cet autre homme l’avait, lui Jérôme, propulsé dans un trio où il ne servait qu’à tenir la chandelle, à veiller que tout aille bien pour le gentil petit couple qu’il avait trouvé un soir dans une ruelle étroite pas loin de leur appartement à lui et Estelle, presque sous la fenêtre de leur chambre.

«  J’ai tout compris dans ce baiser » me dit-il.

Il me dit dans un sanglot : j’ai compris qu’elle ne m’avait jamais vraiment aimé, et c’était pire que la trahison, ça. C’était pire.

Parce que tu peux aimer quelqu’un et puis, un jour, tu te prends à désirer quelqu’un d’autre, c’est possible, ça. Mais rien ne t’empêche de revenir à ton amour premier.

Mais là, cette femme à qui j’avais offert ma vie, qui me disait de si belles choses à mon oreille, de telles déclarations, avec qui j’étais prêt à m’engager, je n’avais pas vu !

Et il répéta ce mot, « vu ! » Avec force. « vu » qu’elle ne m’aimait pas. Qu’elle ne m’avait jamais aimé et qu’il ne se pourrait pas qu’elle tombe un jour en amour… (il dit d’une petite voix lasse) pour moi.

Après, ajouta-t-il, il a bien fallu faire un test. Pour être sûr que l’enfant.

Et il prononça la fin de sa phrase dans un murmure. « Pardon ? » je lui dis.

« n’était pas de moi » répéta-t-il.

« Comme je m’y étais attendu, il n’était pas de moi. »

 

J’eus envie de serrer Jérôme tout contre, tout contre moi. De le cajoler, de le caresser doucement, cet être si bon, si doux et si fragile.

Il était comme un oisillon qui vient de tomber de son arbre.

Mon Dieu, il était si fragile. Il avait le cœur comme une bombe à retardement. Jérôme était un être qu’il fallait protéger. Beaucoup. Respecter. Beaucoup. Aimer. Beaucoup.

Je m’y employais du mieux que je pouvais. Et de soutenir Jérôme, cela m’épuisa mais m’aida aussi énormément. C’est en fait un peu égoïste, d’aider les autres.

Oui, aider l’autre, c’est un peu s’aider soi-même.

Je l’apaisai, comme Ambre savait si bien le faire avec moi. Tout allait bien, Jérôme reprenait des forces par mes bons soins. Il ne voulait pas se confier aux infirmières et au personnel soignant, il disait : « je ne suis rien pour eux. » et il n’avait pas tort.

Jérôme reprenait des forces par mes coups de langue amies sur son plumage d’oisillon perdu sans amour.

De l’amour, je ne pouvais lui en donner.

Jérôme donnait l’impression qu’il pourrait se casser à tout moment. Je lui offrais mon amitié. Il s’y vautra comme un cheval se vautre dans l’herbe, comme un ours se racle le dos contre un arbre. Il s’y vautra comme on se laisse porter enfin par un être ami.

J’étais heureuse d’être utile à quelqu’un.

 

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9 mai 2020 6 09 /05 /mai /2020 16:05

Tout était bien, oui, tout était bien.

Le lendemain, je me réveillai aux aurores. Mais restai dans mon lit pour ne pas déranger les autres patients et la vie de la clinique. J’avais décidé d’aller me promener avec Alice et le professeur de sport à dix heures. Cela me revigorerait.

Le temps s’écoula lentement. Lentement mais vite. Lentement mais lent comme un sirop sirupeux. Avec douceur, avec délice. Pourquoi avec délices ? Je ne saurais le dire.

C’était tout rouge en moi. C’était tout chaud. Dans mon ventre et en mon coeur. J’avais repris des couleurs, en une nuit.

Je me sentais prête à affronter le monde de nouveau.

Le temps s’écoulait. Je restai dans mon lit.
A regarder par la fenêtre le grand sapin vert de gris. Se laisser secouer par les petites rafales de vent. Il se détachait sur l’ombre de la nuit qui finissait. Il était beau. Il était grand. Majestueux. Il n’avait pas peur de l’hiver, des intempéries. Il laissait les éléments le pétrir et je sentais quelque chose comme sa sève parcourir mes veines et mes artères, me traverser tout entière. Me parcourir, oui.

J’étais neuve, ce matin-là. Oui du sang nouveau parcourait mon corps. J’avais hâte de revoir mes amis. J’avais hâte de la vie. J’avais envie de croquer dedans à pleines dents.

Imperceptiblement je renaissais à moi.

Sept heures trente. Je sortis de la chambre. Je m’étais habillée, bien sûr. Je déambulai dans le couloir et descendis jusqu’au réfectoire. Puis je rejoignis la queue dans la file des gens qui attendaient. Oui, j’étais en bout de queue, un peu mal à l’aise au milieu des autres, des qui plaisantaient, des qui morigénaient. Je croisais des sourires, d’autres regards plus soucieux. Une femme entonna doucement une chanson de Johnny : « Diego, libre dans sa tête, derrière sa fenêtre, déjà mort peut-être ». « Quel est ce pays où frappe la nuit la loi du plus fort » ?

C’était beau et cela me fit du bien, s’il était besoin.

Tout à coup apparut Alice. Mon amie Alice. Elle vint se poster près de moi – qui avais un peu avancé dans la file – sous les regards désapprobateurs de quelques-uns (qui n’appréciaient pas qu’une personne les double). Une dame d’un âge râla. Nous n’en fîmes pas cas. Nous nous retrouvions. Nous étions heureuses. Sonia se joignit elle aussi à notre duo. La vieille derrière nous râla de plus belle. Sonia lui répondit calmement et un peu sèchement :

- Je suis avec mes amies. Vous la voulez, cette place !? Venez, prenez-la, insista-t-elle. Elle n’attend que vous.

La dame maugréa plus silencieusement, surprise par l’aplomb de Sonia.

Nous nous installâmes toutes trois autour d’une table du réfectoire. Comme une bulle nous entourait. Une bulle en nous trois. Je mangeai avec voracité.

Nous attendîmes les dix heures.

- C’est bizarre, je n’ai pas vu Jérôme, me fit remarquer Alice.

Je regardai autour de nous. Nous étions à l’entrée, vers l’accueil. Sur les sièges de l’entrée. Là où il siégeait tous les matins à dix heures.

- Non, c’est vrai. Je ne l’ai pas vu ce matin.

Je fus inquiète soudain. Un doute me prit. Un petit coup au coeur.

Alice le vit. Elle me dit :

- Non mais ne t’inquiète pas, Lara. Il doit se balader dans le parc autour de la clinique.

J’adhérai à ce qu’elle me dit. Oui. C’est ça. Il doit se balader autour de la clinique.

Le prof de sport arriva. Nous étions une dizaine réunis vers l’accueil.

- Bon, on y va, dit Boris à dix heures passées de cinq minutes.

Et le groupe s’achemina derrière lui.

La nature était belle, oui.

Nous avancions. La nature était belle, oui.

Le vert était verdoyant. L’herbe rase.

Le ciel plein d’un soleil rayonnant.

La nature était belle, oui.

Je regardai le fleuve faire ses circonvolutions, en bas de moi, sous notre promontoire, sous la colline où nous nous situions.

Nous étions sur le retour. La balade virait à sa fin, et j’avais un nœud qui se formait en mon ventre. En moi. J’étais toute étourdie de cet air frais, et vivifiant. J’avais hâte de rentrer. Oui.

J’arrivai. Je regardai. Et je ne vis rien de suspect. J’arrivai. J’étais soulagée que la balade eut lieu. Je me sentais presque mieux. Oui presque. Car l’essentiel manquait. Une peur sourde m’envahissait petit à petit.

Alice avait oublié pour Jérôme. Pas moi.

Je ne lui avais rien dit de la déclaration d’amour de Jérôme de la veille.

Peut-être l’avais-je tué, me dis-je, en refusant sa déclaration. En le refusant. Peut-être s’était-il tué, seul dans sa chambre. De désespoir. De manque d’envie. Peut-être j’avais fracassé son coeur si fragile en un « non »indifférent. Mais c’était impossible. Je ne pouvais pas aller contre mon coeur. Mon coeur me dictait sa loi, et je le suivais. Jérôme était un « inaccessible ». Une impossibilité de la nature pour moi.

Tout d’abord, il était trop fragile. Et ce « tout d’abord » suffisait à enterrer tous mes desideratas. Toutes les possibilités de « oui ».

Que ferions-nous, ensemble, sinon à divaguer dans un présent incertain, oui à divaguer ensemble perdus dans la mer de nos incertitudes, de nos insécurités, de nos angoisses – qui communiqueraient – dans un flot de mer noire et sans fond.

Oui. La détresse de Jérôme m’avait touchée. Mais nous étions sujets de la même peur de l’abandon.

Je ne pouvais me laisser me noyer, être noyée, sans me débattre. Sans refuser l’inéluctable. Non. L’amour n’était pas tout. L’équilibre psychique permettait au bateau de ne pas sombrer. J’avais besoin d’un homme sur lequel je pouvais compter. Un homme comme Fabrice. Non pas un homme comme Fabrice. Presque comme Fabrice.

Pas tordu comme lui. Pas faux comme lui.

Je n’avais pas besoin de Jérôme pour vivre.

Je courus plus que je marchais jusqu’à sa chambre. Haletante. En état d’alerte maximal.

Qu’avait-il fait ? Pourquoi ne l’avait-on pas vu à sa place habituelle du matin, à regarder les arbres au lointain, un café à la main, près de l’accueil. Je n’avais plus de raisonnement. Je ne réfléchissais plus. Je voyais les visages que je dépassais et je les ancrais dans mon présent. Cette grimace. Cet air triste. Cette mine affligée. Il était arrivé quelque chose à Jérôme, c’était certain.

J’approchais de sa chambre. J’approchais du point crucial. Une dame de service en sortait. Elle portait un drap et un drap housse qu’elle disposait dans un chariot laissé dans le couloir.

- Que se passe-t-il ? Dis-je hors d’haleine. Où est le monsieur qui était ici ?

- Ce monsieur n’est plus là, me dit la dame en me regardant à peine.

- Il lui est arrivé quelque chose ? (Mon coeur tapait dans ma poitrine. J’avais peur de ce qu’allait m’annoncer cette femme de ménage).

- Il est rentré chez lui ce matin à neuf heures.

Mes yeux restaient fixes mais n’osaient pourtant se fixer sur aucune chose, aucun objet, aucun être. Mes yeux étaient blancs. Ils devinrent blancs.

J’étais abasourdie. J’étais knocked out.

Je laissai mon bras s’échouer le long de mon corps.

Oui. Là. Jérôme m’avait abattue. D’un coup, d’un seul. Il avait porté un coup à mon esprit qui sagement suivait le fil de sa vie. Tentait de suivre le fil de sa vie, et qui ne le trouvait pas. Qui n’en trouvait pas le sens. Un but. Un pourquoi ! Une réponse à ce pourquoi.

Ainsi Jérôme était parti. Je ne le croyais pas si fort. Peut-être l’avais-je blessé, l’avais-je blessé à mort ? Je ne le croyais pas si fort. De se passer de la clinique. De mes doux bras souples et ouverts. Ouverts à lui. A ses problèmes, à ses questionnements. A son chagrin. Féroce. A son effondrement même. Qu’allait-il devenir, sans écoute, sans être réchauffé dans des bras souples et ouverts. Sans la clinique. Sans la bienveillance qui y régnait.

Je me sentis tout chose. Comme perdue un temps. Comme un papillon qui a l’habitude de l’ombre et est soudainement éclairé par une trop vive lumière. Un truc déconcertant. Une lumière trop vive. Une peur absurde. Et en même temps une soif de vivre.

J’étais comme désaxée un temps. Puis le temps s’écoula de nouveau. Et j’habitais mon corps encore. Je soupirai. Et je me dis qu’il me manquerait, Jérôme, mais pas tant que ça. Oui. Il me manquerait mais qu’il me suffirait de respirer bien tranquillement comme ça. Là. Que tout se passait entre mes lèvres et mon diaphragme. Que l’air y pénétrait et m’offrait une indépendance inaliénable. Je souris à nouveau.

J’étais en paix. Oui. Alice. Sonia. Cathy, l’infirmière que j’avais amadouée. Et la profonde et gentille Christiane. 

Tel était mon présent. Jérôme ne m’avait pas dit « au revoir ». Je lui en voulais un peu.

Une rancoeur. En moi. « Il aurait pu me prévenir » je me pris à penser. Mais il n’était plus là et je ne pouvais pas lui exprimer mon courroux.

Et puis je savais bien dans le fond que j’avais un peu tort. Que je l’avais laissé comme une vieille chaussette après qu’il m’ait ouvert son coeur. Son coeur de tendre.

Et puis, c’était vrai qu’il se sentait mieux les derniers temps. Notamment grâce à moi. Je l’avais beaucoup aidé. Beaucoup écouté. J’avais été un ancrage pour lui.

Une oreille. Qui l’avait rejeté, par souci de se préserver. De ne pas revivre un naufrage encore. Qui avait juste besoin de recroire en l’amour.

Et aussi de pleurer toute à son aise sa grand-mère.

Oui. Ma grand-mère qui me manquait tant et que je souffrais de ne plus voir, de ne plus entendre, d’avoir oublié déjà, un peu. Je revis son visage souriant. A ma grand-mère. Et je pensais que j’avais fait le bon choix.

 

Oui. J’avais fait le bon choix. En ne donnant aucune chance à Jérôme.

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9 mai 2020 6 09 /05 /mai /2020 15:45

Je me trouvais avec Jérôme dans le petit parc situé autour de la clinique, un parc grillagé. Nous fumions, ensemble.

Jérôme éteignit sa cigarette, il n’osait pas trop me regarder. Plus exactement, il me regardait mais à la dérobée. Il attendit que j’éteigne moi-même ma propre cigarette puis me proposa de faire un petit tour du parc.

Nous marchâmes pendant une dizaine de minutes, à faire plusieurs fois le tour du petit parc, quand Jérôme se résolut à me parler :

- Tu vois, Lara, c’est pour ce genre de choses-là que je voudrais ne pas partir d’ici.

Je le regardai, coite. Que voulait-il dire ?

- Ne pas sortir d’ici ? Mais tu es fou, Jérôme. On crève tous de sortir d’ici.

- C’est pour ce genre de partage… avec toi, que je voudrais ne jamais partir d’ici… C’est trop précieux.

Et il dit cela en me regardant droit dans les yeux.

- Je ne comprends pas, Jérôme.

- Je ne me suis jamais senti aussi bien avec une personne. Je ne me suis jamais senti aussi bien qu’avec toi.

J’avais envie de lui dire, "mais c’est gentil, Jérôme, je te remercie mais j’ai tout de même envie de sortir, moi, d’ici. Un jour. Quand j’irai mieux.

Et puis moi j’ai Ambre et Djamel, l’atelier peinture. J’ai mes parents aussi. Et Julia. Ce sont des gens avec qui je passe du bon temps, oui, des bons moments."

Mais je ne parlais pas et détournai le regard.

- Est-ce que tu comprends ce que je viens de te dire, Lara ? Une forme d’agressivité avait pris sa voix. Un truc qu’il ne maîtrisait pas. Qui semblait le dépasser. 

- Tu ne veux pas partir d’ici.

- Non, je ne veux pas te quitter, c’est différent.

Qu’est-ce qu’il voulait me dire par là ? Etait-ce une déclaration ? Car si c’était cela, j’étais trop shootée par les médicaments pour en cerner toute l’importance. Et puis j’avais peur aussi. J’étais morte de trouille. Jérôme était gentil, et c’est vrai que moi aussi je m’entendais particulièrement bien avec lui. Mais j’avais eu ma dose de rencontres sentimentales suite à des séjours dans des cliniques psychiatriques. Ne serait-ce qu’avec le fou de Dieu. Et je ne voulais pas reproduire les mêmes erreurs que par le passé. Non, on ne m’y reprendrait pas. Je m’étais promis que l’on ne m’y reprendrait pas. Je repensai au fou de Dieu et me mit à frissonner.

- Ca ne va pas ? Me demanda Jérôme.

- Qu’est-ce que tu me veux, Jérôme ? Je répondis de façon agressive.

J’ajoutais :

- On n’est pas bien, là, comme ça, comme deux amis ?

- « Deux amis » ?

- Ne gâche pas tout, Jérôme. Tu es trop fragile. Je suis trop fragile aussi. Nous deux, c’est comme mettre ensemble un paralysé et un boiteux. Ca ne marchera pas. Ca ne peut pas marcher.

Jérôme était sans voix. Il s’assit sur un banc, démuni.

J’étais embêtée. Je me souvenais d’avant, de son panache d’avant et j’étais gênée de le voir si abattu. Il s’était attaché à moi et croyait m’aimer car on s’entendait bien, je l’écoutais beaucoup.

- Je te parle d’amour et tu me parles d’un paralysé et d’un boiteux… Je te parle d’amour et toi, tu raisonnes très pragmatiquement que je suis trop fragile, que tu es trop fragile. Et point final, c’est ça ?

- Oui, je murmurai, confuse.

- Mais je ne suis pas si fragile que ça.

- Si, Jérôme. Tu as besoin que je t’écoute beaucoup.

- Mais c’est parce que j’avais confiance en toi, cria-t-il.

Je restais immobile, comme tétanisée.

- Alors, tu ne m’aimes pas ?

Je fermai les yeux. Mon Dieu, mais où allais-je ? Où errais-je ?

Tout sauf à nouveau le fou de Dieu. Tout sauf une relation bancale où l’un écoute l’autre et se perd et perd son équilibre psychique.

- Je t’aime comme on aime un ami, un confident.

Je n’étais pas prête à faire sauter l’armure. Elle se construisait petit à petit à la clinique. Il ne fallait pas que je retombe amoureuse. Il ne fallait pas que je retombe. Je n’avais pas les armes. Et je fendis le coeur de Jérôme. J’étais désespérée pour lui.

 

Je le laissai, là, seul sur son banc et partit rejoindre les autres à la salle télévision.

Alice me dit :

- On te cherchait.

Sonia m’offrit un mars pris au distributeur automatique.

Je guettais le passage de Jérôme. S’il voulait rejoindre sa chambre, je le verrais certainement passer vers la salle télé. Mais. Pas de Jérôme.

Je me dirigeai vers la porte qui nous séparait du parc.

Jérôme y était toujours. Sur le banc.

Il semblait une petite chose perdue. J’eus peur pour lui. Pour sa santé mentale.

Il m’avait dit me faire confiance. Que c’était pour cela qu’il s’était livré à moi.

J’avais envie d’aller le trouver, pour l’aider mais je n’avais pas envie non plus de lui donner de faux espoirs. Allons, nous verrions bien demain. Demain il aurait oublié sa déclaration malvenue et je reviendrais à lui, en amie. Demain j’aurais fait échec et mat à son grand coeur un peu perdu. Il m’accueillerait à nouveau comme une amie. Et tout irait bien.

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