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26 mai 2020 2 26 /05 /mai /2020 11:15

Jérôme se mit à se confier à moi. Il me disait « Estelle ceci » « Estelle cela ». Estelle, c’était son ex-compagne. « Estelle a fait un enfant à un autre » hurlait-il mais comme en sourdine. Il se répétait, il répétait ces mots, inlassablement : « Estelle m’a trahi », me disait-il.

« Coup de poignard dans le dos » assenait-il, et ses yeux hagards devenaient illuminés, comme fous. Etourdi par une rage sourde qui le prenait, l’étripait, l’agrippait, l’étranglait, presque.

Et j’avais peur pour lui, quand il se mettait dans cet état-là.

Il secouait alors la tête, en signe d’incrédulité.

Comment celle qu’il aimait tant, avec qui il s’était projeté toute une vie, pour toute la vie, avait pu vouloir le faire devenir père d’un enfant qui n’était pas le sien.

Il me raconta. Un soir. Le soir où il avait découvert le pot-aux-roses. Comment elle l’avait trahi. Le baiser.

Il me dit : je m’en souviendrai toute ma vie de ce baiser langoureux que je l’ai vue lui donner à lui. Un vague confrère. Un peu plus riche, un peu plus beau.

Ce baiser lascif c’était pire que tout. Pire que pour le bébé, il me dit. Pire que la trahison, le mensonge.

Ce baiser lascif qu’elle avait offert à cet autre homme l’avait, lui Jérôme, propulsé dans un trio où il ne servait qu’à tenir la chandelle, à veiller que tout aille bien pour le gentil petit couple qu’il avait trouvé un soir dans une ruelle étroite pas loin de leur appartement à lui et Estelle, presque sous la fenêtre de leur chambre.

«  J’ai tout compris dans ce baiser » me dit-il.

Il me dit dans un sanglot : j’ai compris qu’elle ne m’avait jamais vraiment aimé, et c’était pire que la trahison, ça. C’était pire.

Parce que tu peux aimer quelqu’un et puis, un jour, tu te prends à désirer quelqu’un d’autre, c’est possible, ça. Mais rien ne t’empêche de revenir à ton amour premier.

Mais là, cette femme à qui j’avais offert ma vie, qui me disait de si belles choses à mon oreille, de telles déclarations, avec qui j’étais prêt à m’engager, je n’avais pas vu !

Et il répéta ce mot, « vu ! » Avec force. « vu » qu’elle ne m’aimait pas. Qu’elle ne m’avait jamais aimé et qu’il ne se pourrait pas qu’elle tombe un jour en amour… (il dit d’une petite voix lasse) pour moi.

Après, ajouta-t-il, il a bien fallu faire un test. Pour être sûr que l’enfant.

Et il prononça la fin de sa phrase dans un murmure. « Pardon ? » je lui dis.

« n’était pas de moi » répéta-t-il.

« Comme je m’y étais attendu, il n’était pas de moi. »

 

J’eus envie de serrer Jérôme tout contre, tout contre moi. De le cajoler, de le caresser doucement, cet être si bon, si doux et si fragile.

Il était comme un oisillon qui vient de tomber de son arbre.

Mon Dieu, il était si fragile. Il avait le cœur comme une bombe à retardement. Jérôme était un être qu’il fallait protéger. Beaucoup. Respecter. Beaucoup. Aimer. Beaucoup.

Je m’y employais du mieux que je pouvais. Et de soutenir Jérôme, cela m’épuisa mais m’aida aussi énormément. C’est en fait un peu égoïste, d’aider les autres.

Oui, aider l’autre, c’est un peu s’aider soi-même.

Je l’apaisai, comme Ambre savait si bien le faire avec moi. Tout allait bien, Jérôme reprenait des forces par mes bons soins. Il ne voulait pas se confier aux infirmières et au personnel soignant, il disait : « je ne suis rien pour eux. » et il n’avait pas tort.

Jérôme reprenait des forces par mes coups de langue amies sur son plumage d’oisillon perdu sans amour.

De l’amour, je ne pouvais lui en donner.

Jérôme donnait l’impression qu’il pourrait se casser à tout moment. Je lui offrais mon amitié. Il s’y vautra comme un cheval se vautre dans l’herbe, comme un ours se racle le dos contre un arbre. Il s’y vautra comme on se laisse porter enfin par un être ami.

J’étais heureuse d’être utile à quelqu’un.

 

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commentaires

Y
Ca va bon train, cette histoire ! On suit avec intérêt... ;-)
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A
Wouah!!! Merci. Ca me fait du bien d'avoir tes retours!! Ca m'aide vraiment, ça me donne de l'élan. Pour ne pas dire de l'allant ;)). Courage! Il faut que j'avance bon an mal an pour ce texte. (Ps: MERCI)