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9 mars 2019 6 09 /03 /mars /2019 18:54

J’ai un fils. Il s’appelle Lillo. Il joue souvent avec les nuages. Il se cache derrière. Il me demande ; Dis, maman, devine où je suis.

Et je le cherche, je le cherche. Debout. Assise. Sur les nuages. Dans les nuages. Sous les nuages.

Bom ! Bom ! Il aime ça, mon fils.

Son père est formidable. Je le dis comme je le pense. Son père, c’est Chet Baker et Ray Charles à lui tout seul. Son père, c’est mon homme. C’est mon seul homme. Le seul. L’unique. C’est mon homme. Et Lillo l’adore. Comme moi.

C’est mon alter ego. Mon homme. Et Lillo le sait. Il se frotte contre lui. Il lui dit : « Mon papa ! Viens voir les nuages avec moi. » Et Gervald, mon homme, lui dit : « Non, ce n’est pas mon truc, les nuages. » Et Lillo fait la triste mine. Pour un peu il se roulerait par terre de contrariété.

Et il le fait. Il se roule dans l’herbe, et il hurle, il arrache des brins d’herbe avec rage.

Lillo sait que j’aime son père et que son père m’aime.

Mais il n’est pas sûr, je crois, que son papa l’aime.

- Essaie de lui faire plaisir, je lui dis.

Alors, Lillo rentre dans sa chambre. Il fouille et il trifouille dans sa cachette aux trésors.

Il vient vers son papa avec des bonbons. Des bonbons tout sucrés. Tout bons. Et Lillo voit son père saliver. Saliver d’avance.

- C’est pour moi ? Il dit.

- Oui, et Lillo hoche la tête.

- Mais ce n’est pas l’heure, il va falloir manger, Lillo. Tu me les redonneras à un autre moment. Après le repas, tiens.

Et il sourit à Lillo en lui ébouriffant les cheveux. Et Lillo reste déçu mais il jubile en même temps de joie. À la joie de partager ses bonbons avec son père.

 

Le repas se passe bien jusqu’à ce que Lillo vomisse.

Je dis :

- Que se passe-t-il, Lillo ?

Son père s’inquiète aussi.

Mais Lillo a la fièvre. Il tremble. Il crache du sang.

Gervald ne perd pas une minute. Moi je suis paniquée à fond. Gervald embarque Lillo dans la voiture. Je m’assois à côté de lui.

- Maman, j’ai mal au ventre.

- Où ? Où ? Mon chéri ?

Et Lillo tousse. Il tousse du sang.

Mon Dieu. C’est mon monde qui s’effondre.

On arrive à l’hôpital. Les urgentistes prennent Lillo tout de suite en charge. Nous restons seuls dans la salle d’attente, son père et moi.

Gervald tremble. Je le touche. Essaye par une caresse de l’apaiser. Mais Gervald ne s’apaise pas. Il tempête. Contre les urgentistes, ces cons qui ont tardé, contre la vie, cette fatalité.

- On va me l’enlever, tu vas voir. On va me l’enlever, il dit.

- Lillo ? Je dis.

- Et pour qui crois-tu que je crie ?

- Pour Lillo, je lui dis en le regardant étonnée.

- Je n’y arriverai jamais, à être un bon papa, il dit.

- Mais tu es un bon papa, je lui dis. Un bon papa et un bon mari.

Gervald éclate en sanglots. Et il se met à trembler. À vomir et à cracher du sang.

- Mon Dieu, je crie. Au secours, au secours, je rajoute.

Une infirmière arrive et elle m’aide à transporter Gervald jusque dans la salle d’examen.

- Après le fils, le père ? Dit le médecin.

Et je n’en entends pas plus.

 

Je vais dans la salle d’attente et je regarde les nuages.

 

- Lillo, je prie, où es-tu ?

Je scrute les nuages et je n’y vois pas Lillo.

Je saute sur un nuage et je cours, je cours, et je me faufile dedans. Je m’enrobe du nuage, je respire son frais. Je revis.

Je saute de nuages en nuages et je cours après le temps et je l’apprivoise et je mange des bonbons à m’en empiffrer.

C’est ma manière de prier pour Lillo et Gervald. De m’évanouir dans les nuages. Je vole.

L’infirmière vient me voir.

- Votre fils et votre mari vont mieux. On les a mis dans la même chambre.

 

- Tu vois, tu sautes de nuage et nuage. Et tout va mieux, entendé-je Lillo dire à Gervald.

- Comme ça ? Lui dit son père. Comme ça ?

- Oui, mais un peu plus profondément, papa. Enfonce-toi dedans pour les sentir te caresser.

 

Pour la première fois, je vis un franc sourire s’épanouir sur le visage de mon mari. Mon homme.

 

Je leur souris.

- Tiens, un bonbon maman. Papa en a pris aussi, rajouta Lillo tout fier.

Je pris le bonbon et il fondit dans ma bouche comme un nuage.

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