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29 janvier 2020 3 29 /01 /janvier /2020 21:32

Je suis un peu comme un appareil-photo. Dans l'instant de la découverte, je grave les visages, les intonations, les regards dans mon coeur. De retour, il me faut les développer.

Développer les regards. Développer les instants. Un peu comme si, dans mon imaginaire tout s'inscrivait sur ma peau. Dans ma peau. Tout contre.

La veille au soir, Coralie m'avait sussurré:

- Où vas-tu chercher que j'ai besoin de plus de séduction, Thomas? avec un sourire entendu.

Je n'avais rien pu dire. Mais j'avais gravé son visage dans mon coeur. Oui. Dans mon coeur, son visage souriant.

Etais-je bête, moi aussi, de l'avoir raccompagnée sans essayer ne serait-ce que de l'embrasser. Après une tirade pareille, dite dans un sourire, on ne pouvait rester immobile, insensible. Immobile, je l'étais resté. De marbre.

Ca devait être la chaleur. Cette stupide chaleur d'hier au soir. C'était son sourire. C'était cette intensité de la rencontre qui vous soudoie et fait de vous sa proie. Oui. Je suis un peu comme un appareil photo. Pour voir bien, il me faut du temps. Un sacré temps même.

Je ne regrettais pas de ne pas l'avoir approchée. Coralie. Non.

J'étais bien, peinard, dans mon appart au-dessous des toits.

Je suis peintre. Je peins des clowns. Les clowns, c'est gai et triste à la fois. Ca cache son monde. Son monde intérieur. Souvent, je dirais ça, souvent oui, ça fait semblant de se marrer. Ca prend de la peinture, ça se peinturlure tout le visage. Ca sous-entend. Ca équivoque. Ca cache la misère.

Moi, c'est un peu ce que j'avais fait avec Coralie hier au soir. Je lui avais souri. J'avais acquiescé de la tête comme pour dire: "Oui. Non? Tu crois?" et je m'étais enfui. Oh! Doucement. Tranquillement. De mon pas le plus lent. Mais je m'étais enfui tout de même.

Je n'ai pas répondu à ses coups de téléphone. Insistants au début. Puis plus espacés. Sporadiques enfin.

Moi, je me vidais une bière. Je caressais la toile de mon dernier clown peint, un clown avec un sourire comme une demande, demande entendue-malentendue. Je gratouillais la frimousse de mon chaton. Je continuais ma routine, quoi.

Je continuais à vivre. Oui. Vivre, bon sang!

-Tu verras, me disait ma mère quand j'avais dix ans, un jour, tu verras, nous connaîtrons des jours meilleurs.

Je l'avais crue.  Ma mère qui fut atteinte d'une maladie incurable deux mois après cette déclaration.

Après je n'ai plus cru personne. Et je me suis formé une façade, une façade qui sourit, comme mes clowns. Une foutue carapace en fait.

Alors,  Coralie, là. Avec son air endiablé et séducteur, elle m'a fait un peu peur, je dois l'avouer.

Je rajoute du rouge sur le nez de mon dernier clown. Il est drôle, dans le sens qu'il ne cache pas sa tristesse. Il a un vide dans les yeux. Un vide dans le regard qui m'interroge.

Le temps passe. Et passe le temps. Je regarde ma vie défiler par l'unique fenêtre de mon appart.

C'est l'hiver déjà. C'est l'hiver et je grelotte. Je vais un peu au Café Lecture. Je rencontre des gens. Je tirade. Je façade. Mais je rentre chez moi seul.

La neige est tombée hier. J'ai cru voir Coralie courir devant moi, dans la rue. Elle se hâtait. Elle ne m'a pas reconnu.

Elle se hâtait vers un rendez-vous inconnu. Dans des bras inconnus.

Une douleur sourde me prit soudain. Ce soir-là je pleurais. Je pleurais pour la première fois depuis la mort de maman.

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