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1 octobre 2018 1 01 /10 /octobre /2018 11:27

L'homme était élégant. Son veston bien cintré le faisait ressembler aux messieurs des années 30. Clope au bec - exceptionnellement car d'habitude il mâchouillait sa pipe - il éjectait avec des gestes délicats la fumée de sa bouche.

Soudain l'horloge sonna 8 heures. L'horloge de l'église du quartier. 8 heures! Il fallait se dépêcher. Il se calfeutra dans son veston et accéléra l'allure. C'est rapidement qu'il atteignit le SOSSO Café.

Un petit PMU faisant l'angle de la place Jules Vallès.

Il entra doucement. S'il avait pu sonner pour prévenir de son arrivée, il l'aurait fait. Oh! Pas pour claironner à la cantonade: attention, j'arrive. C'est moi que v'là!

Non. Plutôt comme le faisaient les gens d'antan, les vieilles gens aux vieilles coutumes, les hommes d'un autre âge, les hommes courtois... Je m'excuse de vous déranger. J'en suis à l'avance désolé. Je suis confus pardonnez-moi mais j'aimerais entrer me mettre au chaud, comme ça. Là. Entre vous, me calfeutrer. Pardon. Merci. Voilà. Là.

Il entra. Donc. Dans le café encore un peu sombre de ce matin d'hiver il prit place. Au comptoir. Le patron avait fait mine de ne pas le regarder. Ou peut-être n'était-ce pas une posture. Peut-être bien ne l'avait-il pas vu. Le discret personnage. Une heure passa. Longue. L'horloge coincée au-dessus du comptoir égrenait les secondes.

Au bout d'une heure dix, le client gauche et timide osa un "patron?". Une question dans laquelle sonnait une espérance. Une hésitation teintée d'un espoir à peine voilé, glissé du bout des lèvres.

Le patron, qui essuyait un verre, s'approcha.

-Hmm? demanda-t-il.

-Pourrais-je s'il vous plait sans trop vouloir abuser demander une pinte de bière?

Le patron, mal rasé, bougon, réprima un rictus. Amusé de ces phrases à rallonge que ce client lui servait tous les matins.

-Au comptoir? s'enquit-il.

-Tout à fait, répliqua le faux dandy.

 

Alors, et ce sans quitter son siège, l'homme commença tout un rituel. Il huma la boisson fermentée. Il sortit un mouchoir et essuya le pourtour du verre. On n'est jamais trop prudent avec les microbes. Puis il but une gorgée, oh une minuscule gorgée du précieux breuvage.

Mais qui parcourt la vie et en connaît toutes les habitudes et tous ces rituels qu'on positionne comme autant de barrages à l'anxiété, sait aussi, disons apprend un jour ou l'autre à faire avec l'imprévu.

L'imprévu, dans cette histoire, s'appelle Gertrude. Une voix de rocker nasillarde, une grande gueule, une pousse-toi-de-là-que-je-m'installe.

Gertrude, c'était un peu une femme déménageur. Pas de dentelle. Pas de moui moui moui.

Avec Gertrude, ça passait ou ça cassait.

Et ça cassa.

Comment le bel équilibre du dandy, Georges, fut rompu, on ne se l'explique pas bien.

Toujours est-il qu'il fut question d'un rotweiller. Que Gertrude laissa vagabonder dans le café.

Que celui-ci renversa des chaises. Qu'il fit un boucan pas possible.

Le monsieur, Georges -appelons-le ainsi car c'est son nom de naissance - essaya la complicité. Il essaya de sourire. Il s'enquit de même de la santé de cette étrangère. Qui s'en ficha éperdument. Elle engloutissait méticuleusement son quatrième whisky.

Le patron commença à la menacer.

-Votre chien, madame, vous pourriez le tenir! On n'est pas dans un cirque ici!

La bonne femme rugit. Elle gueula de toute sa voix.

Notre dandy, Georges, n'y tint plus. Il s'enfuit illico-presto de ce café où le danger avait pointé le bout de son nez. Il courut dans le village, passa devant la boulangerie, passa devant l'église qui sonnait 11h30. S'essuya le visage. Remit en place son veston. De la tenue, nom d'une pipe! Il faudrait bien qu'il retourne au café demain. Prendre une pinte. Ah là là, les aléas de la vie. "Méchante femme" se prit-il à penser, seule touche de noir dans sa vie blanche comme un carrelage sans tache.

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